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Disques

Pastoral Division – Les Choses

Petit précis d’oppositions sourdes, d’attractions (désastres ?) désordonnées, “Les Choses” est un traité de l’amour contemporain en zones périurbaines, un recueil de perles pop claires modernes et finement écrites.

« Les choses prendront place

Les mots prendront place

Et les couloirs, les halls

Les murs et les malls

La ville qui se glace

Le feu brûle la place

Les rues délivrent les fauves

Vois-tu qui nous sauve ?

La foule qui se lasse

Mais que veux-tu que j’y fasse ?

Avec comme seule arme la prose

De Christophe Tarkos. »

“Les Choses”

Voilà. Ça va mieux en l’écrivant. Parce que pour reprendre les mots de Tarkos, c’était collé, dans la pâte-mot (ou la patmo ? pour suivre les illuminations de Jean ?) : Pastoral Division et Christophe Tarkos s’étaient agglomérés en moi. Et de la même manière que la prose de Tarkos s’insinue facilement dans nos corps pour ne plus en sortir, la musique de Pastoral Division avait fait le même travail. Pour faire vite, on pourrait tirer le fil de la… filiation : cette pop littéraire, romantique et dépressive, bricolée dans son coin, avec une guitare et des machines serait pour nous un Jean Bart du pauvre (car l’excellence du texte du suisse est indépassable), plus proche musicalement d’Arab Strap, pas loin des premiers Daho (la voix, la ligne claire) ou de Murat (l’ambition d’écriture). De la vraie pop littéraire, donc, mais qui ne voudrait pas lâcher les rimes (au contraire de Tarkos), qui travaillerait une écriture blanche, avec voix idoine, un peu déceptive comme on lisait dans les Inrocks, mais qui joue sur une instabilité, sur des sens ambigus, sur une profondeur qui se déplie au-delà de l’apparente surface (et là, c’est très Tarkos).

On est dans des jeux d’attractions-répulsions, de contraires qui s’attirent et se repoussent, le tout dans une sorte de silence feutré, angoissant, de lutte désarmée voire résignée. C’est un album totalement queer, aux amours et narrateurs indéfinis (quand l’une des partie l’est, l’autre ne l’est pas). Mais ce brouillage est à l’opposé de la précision des descriptions, des sentiments et des choses. Esprit flottant s’attachant à tout et matérialité (des corps, des objets) omniprésente, ce duo est nécessaire et irréconciliable comme les couples en crise du disque. Il y a le romantique lecteur de Stendhal et le penseur pascalien (“Ne dis pas ça”), l’amateur de Bacon et celui de Hockney (“Conflit esthétique et résolution amoureuse”).

« Je voulais regarder

Un ciel bleu, des palmiers sauvages

Dans un cadre en argent

Toi tu n’as d’yeux que pour ce tableau

Que tu regardes

Obstinément

Une piscine dans les collines

Une homme à veste rouge

Les yeux rivés dans l’eau »

« Et mêmes les Trois études

Pour une crucifixion

Ne te détourne pas

De lui

Avec les gestes d’un homme qui rêve

Je m’approche de toi

Tu m’attrapes la main

Je m’agrippe à ta peau

On se goûte du bout des lèvres. »

Si les choses de l’art elles-mêmes séparent, alors c’est vraiment foutu (et Proust l’a dans le… baba). « Alors voilà. Alors. Voilà. », chantent plus prosaïquement Pastoral Division.

La musique suit les mêmes pentes instables et glissantes. “Une fois l’ivresse passée” fait le pont entre Arab Strap et Jean Bart, ces deux absolus qui refusent d’opposer les entrelacs de guitares aux machines, entre la pop anglaise tordue et le piano de William Sheller (“Vient toujours le moment”), le club et le rock comme Etienne, un temps extasié devant une toile de Witsen, à Rome ou Rennes. Ou Brest, donc. Il y a toujours des glissements de terrain sur le plan de la musique, ce qu’on repérait déjà à l’écoute du premier album chroniqué ici. Le plus flagrant est sans doute celui de “Moites”, final en plongée sourde, au sujet d’une rencontre amoureuse éphémère sur une plage nudiste avec en son centre un appendice technoïde lourd de basses et d’acidités froides (le choc de l’eau, de l’effet de la rencontre). Encore une belle adéquation entre le fond et la forme qui constitue l’essence du disque.

« Plus légère que l’air du

Matin au soir

Tu traverses les flots d’i-

-dées

noires »

“Conflit esthétique et résolution amoureuse”

Telle est la musique de Pastoral Division et c’est une joie comme celle que provoque une rencontre inattendue. Et si elle vous amène à la poésie prolétaire et lettrée de Tarkos, “Les Choses” n’auront pas si mal tourné.

Avec l’aide de Johanna D. Brulard.

“Les Choses” est sorti numériquement le 7 mai 2021 et paraît physiquement le 20 en coproduction avec le label WeWant2Wecord.

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