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Track by Track – “Azimuts” de Malherbe

Malherbe fait un pas de côté dans son œuvre solo en proposant “Azimuts”, un album d’ambient oxymorique : à la fois contemplatif et dense, profond et hypnotique, minimaliste et expressif. La production et le mixage des sept plages musicales ont été confiés à Stéphane Laporte (Domotic). Clément Malherbe, son auteur, nous propose ici le récit de la composition et de l’enregistrement de son disque.


Comment est né cet album, en rupture avec ton écriture folk plus classique ?

Clément Malherbe : Quand j’ai initié ce projet, à l’été 2019, je ressentais une certaine lassitude par rapport à la musique que je faisais et j’ai éprouvé le besoin de bousculer un peu mon processus traditionnel de composition qui reposait essentiellement sur l’utilisation de la guitare et de la voix. A cette période, j’écoutais pas mal de musiques assez calmes et mélancoliques telles que “The Grid” de Rob Burger, des BO de Johann Johanssonn, celle de “All About Eve” par PJ Harvey, ou encore “Border Ballads” de Richard Skelton, des enregistrements qui ont le point commun d’être associés à l’image.
Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par la transe, le bourdon et la musique répétitive. Je me suis donc mis en tête de faire un album purement synthétique, sans paroles et sans batterie, avec des développements lents et étirés et qui donnent la sensation d’un défilement d’images mentales, de dreamscapes à la fois réconfortants et inquiétants.

En termes de réalisation, quel modus operandi as-tu suivi ?

J’ai fait l’acquisition d’un petit contrôleur midi Arturia, de divers VST de synthés analogiques, ainsi que de plug-in modulaires (Doepfer-A-100 et modules Clouds et Rings de Mutable Instruments), soit un set-up assez rudimentaire. J’ai commencé à travailler en me focalisant sur les textures sonores, la résonance, et en essayant d’associer des mélodies très simples à des arrangements plus riches. La possibilité de créer de nouveaux sons directement à partir de l’ordinateur, de façon relativement intuitive, en tâtonnant – et sans avoir aucune idée préexistante du résultat que j’allais obtenir – m’excitait beaucoup. De plus, bien que je ne sois pas du tout un puriste de l’ambient et que mes morceaux trouvent leur inspiration dans différents styles musicaux et expériences personnelles, j’étais séduit par le fait que la composition de musique électronique puisse offrir un cadre plus libre que celui du format chanson auquel j’étais habitué jusque-là, et plus propice à l’expression de mes sentiments. J’ai ensuite envoyé mes pistes à Stéphane Laporte, qui a su en tirer le meilleur en amenant sa sensibilité et des idées musicales intéressantes.


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Notre Dame

Ce titre est le premier que j’ai composé. Il repose sur des collages de différentes boucles, réalisées grâce à plusieurs modules (oscillateurs, filtres et random noise) et une basse aléatoire. Ceci lui confère un côté musique générative. Au moment du mixage, Stéphane a rajouté des effets analogiques et numériques, en faisant bien ressortir les textures, le souffle et les grincements. La tonalité du bourdon (Fa #) se retrouve à plusieurs moments du disque et notamment sur le dernier morceau, comme pour clore le voyage. Le choix de cette tonalité n’était pas intentionnel ; c’est le jeu sur clavier qui se prête à certaines tonalités qui sont différentes des accords que je trouve spontanément sur la guitare. Pour l’anecdote, le choix du titre du morceau n’a absolument rien à voir avec l’incendie de la cathédrale survenu quelques mois plus tôt. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert que la plus ancienne et la plus grosse cloche de Notre-Dame de Paris, surnommée « le bourdon », sonnait également en Fa #.



Noctua

Les quatre notes de piano jouées en boucle sur un tempo très lent sont l’idée première de ce morceau. Viennent ensuite un bourdon et une suite d’accords joués au Farfisa, de manière quasi obsessionnelle, pour laisser enfin apparaître un ostinato mélodique. Ce thème, joué au départ à la trompette, a finalement été repris au mélodica et doublé ensuite à la flûte par Vincent Mougel, un ami de Stéphane. Ce dernier a enregistré une partie improvisée au piano, que j’ai souhaité garder en l’état. Je trouve qu’elle donne un petit côté japonisant et organique au morceau qui évolue au sein d’un environnement assez froid et statique. Noctua veut dire oiseau de nuit en latin. J’imagine une promenade nocturne en forêt, seul, dans une ambiance plutôt apaisante, avec néanmoins la crainte d’être observé par des êtres mystérieux et peu accueillants.



Les Ondes lentes

Celui-ci s’est construit sur la base d’un arpège de synthé, joué en boucle au CMI V, et qui sert de « fil rouge » au morceau. Un deuxième motif, joué par un autre synthé, s’imbrique, puis un troisième motif de kalimba, avant que ne survienne une mélodie céleste, aux notes tenues évoquant une voix féminine. La suite du morceau est un dialogue entre divers instruments, aux sonorités tantôt cristallines et aquatiques, tantôt rugueuses et minérales, noyées dans le tape delay (écho à bande que l’on retrouve sur l’ensemble du disque). Le titre fait référence à la phase du sommeil profond durant laquelle les ondes électriques émises par le cerveau ralentissent, avant l’entrée vers la phase du sommeil paradoxal. Sur le final, les repères se brouillent, le son se distend ; nous avons peut-être déjà rêvé, sans pourtant en avoir aucun souvenir ?



Hybris 

C’est la pièce qui m’a donné le plus de fil à retordre et celui dont je suis finalement le plus satisfait ! Elle s’inspire d’histoires sentimentales particulièrement chaotiques que j’ai vécues en 2019 et 2020. J’ai mis beaucoup de temps avant de trouver la forme adéquate, je revenais fréquemment dessus, sans parvenir à le résoudre… Hybris est un diptyque. La première partie est celle de la rencontre, de la découverte, qui se matérialise par un dialogue entre une nappe de synthé, une basse modulée et un motif simple de piano, légèrement détuné. Celui-ci va lentement subir des modulations et être repris par une clarinette. La proposition de Stéphane d’espacer les cycles a permis d’aérer et de faire respirer le morceau. L’arrivée de la deuxième basse synthétique doublée à la basse électrique annonce le déchaînement des passions, ainsi que la démesure et l’orgueil qui l’accompagnent (l’hybris), sentiment contre lequel j’ai dû souvent batailler lors de mes expériences amoureuses.



Translations 

Hybris finit sur un accord de Fa #, qui se prolonge au début de Translations. J’aimais bien cette idée d’avoir un liant harmonique entre tous ces titres. Ici, la structure s’inspire d’un procédé que j’affectionne, et qui consiste à répéter en boucle la même grille d’accords, en changeant simplement un seul accord une mesure sur deux. Brian Eno l’illustre par exemple à merveille dans The Big Ship. Ce procédé contribue à créer un effet hypnotique, accentué par l’exposition d’un thème très lyrique, et l’utilisation d’une multitude d’effets ; l’ensemble génère une sensation d’ondulation, de mouvement, d’où le choix du titre Translations. En influence, je citerais bien aussi l’album Elpmas, de Moondog, basé justement sur l’utilisation de samples et de mélodies naïves sur certains titres, qui sont répétées indéfiniment, mais avec des variations très ténues.




Phantasma 

A l’origine, ce disque devait sortir sous la forme d’un EP. Début 2020, j’ai entamé deux autres projets : une BO de film imaginaire, plutôt néo-classique-minimal disons (encore dans les tiroirs) et un projet synth-pop électronique chanté, qui constituera le prochain album. Je me suis dit : tant qu’à faire, pourquoi ne pas sortir un (court) album plutôt qu’un EP ? J’ai donc choisi dans ces autres projets deux morceaux, dont le style répétitif et hypnotique correspondait à celui que je voulais donner à Azimuts. Phantasma est une nocturne un peu orientalisante, qui s’articule autour d’un sample et de deux motifs récurrents et lancinants joués par une clarinette et un piano, un peu dans l’esprit de l’album Nocturnes de Yusef Lateef, que mon ami Cyrille m’avait fait découvrir quelques années auparavant. Les harmoniques se meuvent doucement, jusqu’à l’arrivée d’arpèges de clarinettes pitchées, qui amènent le morceau dans une autre direction plus rythmique. Stéphane a enregistré plusieurs parties de clochettes chinoises, dont les tintements intempestifs rendent l’ambiance encore plus obsédante. Avant d’être repris par la psychanalyse pour le sens qu’on lui connaît, le mot “fantasme” signifie fantôme, apparition. Je trouvais que ça allait bien avec ce titre…




Daphné 

Ce titre, qui démarre aussi en Fa #, était conçu au départ pour être joué par un quatuor à cordes, dans un esprit ballade type giallo, très lyrique et énigmatique. Faute de disposer d’un quatuor à cordes, j’ai remplacé les parties de cordes par des drones et des arpèges de synthés, ce qui lui donne un aspect plus froid et distant, et j’ai essayé de faire varier davantage les accords que sur les autres tracks. Les effets utilisés au mixage (écho et delay notamment) contribuent à rendre le son mouvant, presque aquatique. Pour la petite histoire, en lisant un jour un manga, ma fille m’a fait observer que Malherbe était le nom courant d’une plante méridionale, appelée également “dentelaire”. En faisant quelques recherches sur Internet, j’ai vu que cette plante était parfois associée à un petit arbuste appelé “daphné bois-joli”, qui a donné son nom au morceau.




Azimuts est sorti le 17 décembre 2021 chez Les Disques Normal.
Photo : Antoine Legond.

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