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Disques

Tomas Hallonsten – Monolog

Point de soliloque pour Tomas Hallonsten mais des dialogues chauds-froids entre ses envies diverses de claviers.  Pris en sandwich entre chaleur et soul africaine d’un côté, et froideurs motoriks d’Allemagne de l’ouest de l’autre : l’easy cheesy de la pop la plus moelleuse. Un mets plus digeste qu’il n’y paraît, une véritable slow food for the soul.

Tomas Hallonsten, pour moi, avant, c’était le claviériste de Tape (pour mémoire et rien que pour ce site, deux chroniques : “Rideau & Milieu” et “Revelationes”). Maintenant, et peut-être pour toujours, c’est surtout le premier musicien que j’ai vu « préparer » un piano. C’était un soir de concert, dans un petit café de Södermalm, une soirée de musique improvisée et expérimentale, et nous étions  alors fraîchement installés à Stockholm. Tomas Hallonsten débarque, papote brièvement, démonte le panneau du piano droit et, consciencieusement, installe du ruban adhésif de peintre sur les cordes. Le type de Tape donc installe du scotch dans le piano du café (sans même demander). Pour moi, c’était tout simplement fascinant et quasi magique d’entendre, après, les sons feutrés de quasi percussions sortir du piano désossé. D’où la preuve par l’exemple que le piano est un instrument percussif.

Rentrer dans le corps de l’instrument et le traficoter pour le transformer totalement, ce qui était une véritable épiphanie pour moi, était pour lui un geste simple, naturel presque. Ça en dit long sur la pratique qu’il faut avoir.

“Monolog”, apprend-on, est un recueil de divagations solitaires d’un musicien plutôt habitué à croiser le fer (et le cuivre) avec des camarades. Encore un effet pervers du Covid, mais qui nous permet d’apprécier le talent solo d’un musicien grégaire.

Ce “Monolog” rappellera l’onanisme glorieux d’un Marc Melià qui nous avait subjugués il y a quelques années avec “Music for Prophet”, odes au clavier Prophet 5. On retrouve ici le même fétichisme pour l’âme et le corps des vieux claviers mais avec l’ambition de faire le pont entre différentes obsessions : les pionniers électroniques, le jazz (éthiopien mais pas que) sans oublier l’easy listening. Soit de l’intellectualisme, du corps, du feeling, de la facilité, le tout se télescopant, faisant œuvre en bousculant sans cesse le centre, dans un jeu de décalage/recalage, de dialogues entre ses différents moi : Monolog est finalement le big band d’Hallonsten.

“Go Ashram Go”, entre jazz pop et musique électronique, est un Hailu Mergia cold qui se laisserait emmener ailleurs par des virtuosités expérimentales.

“In Clouds” est une berceuse électronique improvisée qui se structure au fil de la composition pour acquérir, finalement, le titre de chanson avec un babillage très po(p)py, qui permet à Hallonsten de frôler le devenir-chanteur. Et pourquoi pas ?

“In Clouds pt. 2” est une  improvisation jazz pop qui peut rappeler, en plus easy listening (une étiquette que Hallonsten ne trouve pas infamante), les envolées lyriques d’un Keith Jarrett, égaré/libéré à Cologne. Cologne, est-ce un hasard ?, ville motorik par essence…

Allemagne über alles, encore avec “Düsseldorf-Douala”, sans doute le titre le plus convaincant, immédiat, pont entre les cultures européennes et africaines, rock choucroute et rythmes d’orgues éthiopiens, percu d’Afrique de l’Ouest, cymbales crash de fortune, ici sans doute électroniques. On nous précise que c’est justement le fait de jouer avec des boîtes à rythmes qui a permis (donné envie ?) à Hallonsten de se la jouer solo.

“Earth” est un poil funk à la Stevie Wonder mais sous un versant sombre, agité de bruitages-parasitages, bruits blancs et percussions sommaires (un côté organique bien mis en avant au début du titre et qui se laisse envahir et submerger peu à peu). C’est une reprise, bien vue, de Joe Henderson et Alice Coltrane.

Enfin, “Vals Antifon” est comme un écho des écoutes enfantines, pour ceux qui ont grandi avec Jean-Michel Jarre, percussions électroniques sur claviers pop mais ici, détournées, tiraillées vers un univers moins froid, des sonorités plus organiques aussi avec toujours une attention pop de premier plan (les accords répétés, très cadencés de dernière partie) mais des ajouts plus improvisés, expérimentaux, qui font vibrer différemment le propos.

Outres mes propres obsessions, Hallonsten nous invite à relier ses compositions avec celles de Francis Bebey mais aussi celles de Air,  Bruce Hornsby (“The Way It Is”) et du Radha Krishna Temple, produit par le plus perché des Beatles, Georges Harrison. This is the way.

Avec l’aide de Johanna D, Jai Guru Deva Om.

“Monolog” de Tomas Hallonsten est sorti en CD, cassette et numérique le 27 janvier 2023 chez Thanatosis.

Tomas Hallonsten était en concert dans la superbe librairie de Stockholm le vendredi 27 janviers pour la sortie du disque accompagné aux claviers de Alex Zethson du label Thanatosis. Deux vidéos peuvent rendre compte (partiellement !) du concert :

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