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En Attendant Ana : « On voulait que les chansons sonnent comme on en avait envie »

Avec son troisième album “Principia”, sorti en février dernier et loué ici même, le quintette parisien En Attendant Ana a franchi une nouvelle étape dans son évolution. L’indie pop à guitares plutôt brute des débuts a peu à peu laissé la place à une écriture plus déliée, aux arrangements variés et aventureux, plaçant toujours la mélodie au centre des débats. Alors que le groupe s’apprête à entamer une minitournée française (après avoir joué aux Etats-Unis et en Angleterre cette année, et fait un passage remarqué à Rock en Seine fin août), il était temps de publier cette longue interview réalisée au printemps dernier.

Le nouvel album arrive plus de trois ans après le précédent, qui était sorti juste avant le Covid. J’imagine que ça a été difficile d’en faire la promotion et de le défendre sur scène.
Margaux (chant, claviers…) : Effectivement, on n’a rien pu faire… Enfin si, on a quand même eu la chance de pouvoir donner quelques concerts assez vite après le premier confinement. Bon, celui à Rouen avait été annulé à cause des intempéries ! La tempête Victor, je crois… Donc à part ces quelques dates, on a été occupé pour l’essentiel par l’écriture et l’enregistrement du nouvel album.
Vincent (basse) : On a quand même été assez chanceux, je trouve. Sur la période où les concerts ont été de nouveaux autorisés, on a pu en faire un peu alors que la plupart de nos copains ne jouaient pas trop. On avait aussi tourné en Angleterre juste avant le Covid, en février 2020.
Margaux : A ce moment-là, j’avais déjà commencé à travailler sur des nouveaux morceaux mais je ne les avais pas encore présentés au groupe. La setlist était surtout basée sur le deuxième album, “Juillet”, qui venait de sortir.

Vincent, tu faisais déjà le son du groupe en concert avant de remplacer Antoine à la basse. Quand je vous avais interviewés quelques heures avant votre concert à la Boule noire, celui-ci avait justement annoncé qu’il quittait le groupe.
Margaux :
Oui, il nous avait dit qu’il arrêtait après ce concert pour le release party de “Juillet”, comme un seigneur…
Vincent : Le changement de line-up s’est bien passé. Je ne me souviens plus exactement depuis quand je travaillais avec le groupe, mais j’étais évidemment familier de sa musique et de son univers. Pour la petite histoire, je faisais le son à l’Espace B [bar-restaurant-salle de concerts de Paris XIXe aujourd’hui fermé, NDLR] et En Attendant Ana doit être l’un des groupes français que j’ai le plus fait jouer là-bas. On se connaissait donc déjà bien. C’est un tout petit monde même si parfois les musiciens des différents groupes sont amis entre eux mais n’attirent pas vraiment les mêmes publics. C’était en tout cas intéressant de succéder à Antoine car on n’a pas du tout le même jeu, lui joue aux doigts, c’est un style complètement différent. Presque comme si on ne jouait pas du même instrument… Au départ, je gardais dans un petit coin de ma tête l’idée de jouer comme lui, mais ça me semblait difficile de retrouver le même feeling, et au fond ce n’était pas le but.
Margaux : L’idée, c’était avant tout que tu trouves ta place dans le groupe, sans être le remplaçant de qui que ce soit.

« Je trouve que dans leur forme non arrangée, quand on enlève tout ce qu’on a construit ensuite en groupe, les chansons se tiennent. » (Vincent)

Est-ce que les changements de line-up successifs que le groupe a connus influent beaucoup sur sa direction musicale ?
Vincent : Sur l’album précédent, Max, qui venait d’intégrer le groupe, avait fait beaucoup de propositions à la guitare. Plusieurs morceaux étaient nés de ses idées.
Maxence (guitare) : Il y en a un que j’avais composé, en tout cas.
Vincent : Sur le dernier, l’équilibre était différent. On est partis de ce que Margaux avait composé et on a conçu à plusieurs les morceaux définitifs. Mais finalement on a pas mal respecté les versions de départ, qui ressemblent à celles que Margaux et Camille jouent en duo lors de sessions acoustiques. Je trouve que dans leur forme non arrangée, quand on enlève tout ce qu’on a construit ensuite en groupe, les chansons se tiennent.
Margaux : Il y a eu le mélange de deux choses, je pense. D’une part, l’arrivée d’un nouveau membre, et dans le cas présent d’une personne habituée à travailler le son, et qui a donc une vision différente de celle d’un simple musicien, qui entend plus de choses et prend plus d’éléments en compte dans la composition des morceaux. D’autre part, notre volonté commune d’essayer autre chose, en allant tous dans la même direction. Vincent est donc arrivé au bon moment.

Vous avez travaillé avec un producteur ?
Vincent : Non, on a fait l’essentiel nous-mêmes. Avec Margaux, on a passé pas mal de temps sur le mix, tous les deux en immersion, avec le retour de tout le monde après. C’est la première fois que le groupe travaillait comme ça, avec tous les musiciens intégrés dans le processus. Il y a eu un beau dialogue entre nous.
Margaux : Sans oublier les petites oreilles de Paul Rannaud et Alexis Fugain, qui nous ont aidés à des moments opportuns (tous acquiescent).

L’album précédent avait été enregistré en une semaine. Celui-ci semble avoir pris plus de temps.
Margaux :
Le processus était différent. En fait, tout cumulé, je n’arrive pas vraiment à savoir combien de temps on a passé dessus. C’était plus long, c’est sûr, mais ça s’est fait en plusieurs étapes.
Maxence : Peut-être un mois de studio en tout ?
Margaux : Oh non, je pense quand même que c’était moins ! En fait, à des moments, on a fait des petits groupes de travail préparatoire. Et le mix a été plus long que pour “Juillet”. Mais je ne crois pas qu’on se soit dit au départ qu’on allait prendre plus de temps. On se l’est autorisé parce qu’on voulait que les chansons sonnent comme on en avait envie. Ceci dit, on n’a pas perdu de vue les habituelles contraintes de temps, les délais, et je me suis retrouvée à mettre des petits coups de pression aux autres vers la fin…
Maxence : On avait surtout une deadline…
Margaux : … qu’on n’avait pas trop en tête au départ. Avec le Covid, les confinements, les pénuries de matières premières, etc., les délais de pressage des vinyles étaient immenses. Quand on nous a dit « bon, votre disque est terminé, il sort dans un an », on est un peu tombé des nues, mais c’est bien ce qui s’est passé. De fait, pour nous le disque est déjà un peu « vieux »…

Photo : Greg Ponthus

Vous m’aviez dit que pour “Juillet”, établir le tracklisting du disque avait été un casse-tête. Cela a-t-il encore été le cas pour celui-ci ?
Margaux : Non, pas tellement. Je l’ai fait avec Vincent quand on était en train de mixer l’album puis on l’a soumis au reste du groupe. Pour “Juillet”, je voulais que l’enchaînement des morceaux raconte une histoire. Là, avec Camille, on savait par quels titres on voulait ouvrir et clore l’album. Ensuite, comme Camille joue de plein d’instruments sur le disque, cela apporte des couleurs différentes d’une chanson à l’autre et on s’en est servi pour créer du relief dans le déroulé de l’album. En tout cas, je n’ai pas l’impression qu’on ait galéré pour ce disque-ci…
Camille (trompette, saxophone, guitare…) : Non, en effet. Chacun avait envoyé ses idées et on était d’accord dans l’ensemble.
Margaux : On a aussi raisonné en faces de vinyle.

Y a-t-il eu des morceaux laissés de côté ?
Margaux :
Pas vraiment, juste quelques-uns qui en sont restés au stade de la demo et dont on pourra faire quelque chose plus tard. Pourtant, au départ, l’idée était d’écrire beaucoup et de faire le tri ensuite, mais on n’a vraiment mené à terme que dix morceaux, ceux qui figurent sur l’album.

« Avec Camille, on se demandait si on pouvait partir sur quelque chose de très différent ou s’il valait mieux poursuivre dans la même veine pour ne pas prendre le risque de décevoir les gens. En fait, il vaut mieux ne pas chercher à répondre aux attentes de qui que ce soit. » (Margaux)

Sur “Principia”, y avait-il l’idée d’épurer le son, de le rendre plus clair par rapport aux disques précédents ? Ce qui pourrait voue permettre de toucher un public plus large, de passer sur certaines radios…
Camille : Ce n’était pas notre volonté de départ. Après, si des chansons plaisent à des gens qui n’aimaient pas forcément ce qu’on faisait avant, tant mieux.
Vincent : En fait, c’est surtout la méthode appliquée pour ce disque qui nous a menés à faire des chansons plus épurées. On voulait rendre les morceaux plus lisibles alors que jusqu’ici on avait tendance à empiler les guitares, ce qui créait une sorte de mur de son. Là, en gros, on a enregistré la guitare de Margaux, la basse et la batterie d’Adrien, plutôt que de jouer tout de suite tous ensemble. Du coup, ça laissait entrevoir ce qu’il serait possible d’ajouter, en laissant des respirations. Ça s’est fait en plusieurs étapes, avec une progression au sein de chaque morceau.
Margaux : Le fait d’avoir des bases solides à trois laissait de la place, notamment pour les guitares de Maxence, qu’on doublait ou pas sur certains passages, selon le son qu’on voulait obtenir.
Vincent : On avait les lignes de voix, donc les chansons se tenaient déjà dans ces version à trois, à la façon d’un power trio guitare-basse-batterie. Même s’il manquait évidemment des choses, l’idée était que les morceaux fassent déjà sens. Ensuite, on a réfléchi aux ornements, aux arrangements.
Maxence : C’est ça, on voulait avoir de la place pour concevoir ces arrangements. On avait voulu le faire sur “Juillet”, mais on n’avait pas vraiment eu le temps. Et finalement c’était super amusant. Nos goûts ont forcément évolué et aujourd’hui, on écoute tous des choses moins brutes, voire très arrangées, et on voulait absolument que cet aspect se retrouve sur l’album.
Margaux : On vieillit, tout simplement ! (rires)

Avez-vous particulièrement travaillé sur les détails ? Une petite boucle rythmique est par exemple utilisée sur le morceau “To the Crush”, qu’on entend seule quelques secondes à la fin.
Margaux : C’est la boîte à rythmes d’un Omnichord. Mon cadeau d’anniversaire ! Ce preset forme d’ailleurs la base du morceau “Clint Eastwood” de Gorillaz. On trouve des vidéos sur YouTube, c’est assez édifiant !

Est-ce que des artistes ou chansons, récents ou plus anciens, ont eu une influence sur le nouveau disque ?
Maxence : Non, c’est plutôt la somme de nos goûts communs, des choses que l’on écoute depuis longtemps même si l’on découvre évidemment des nouveautés. Certaines références transparaissent peut-être de façon plus évidente sur cet album. Mais il n’y a pas un disque qui aurait été une révélation absolue et qui aurait fait prendre un nouveau tournant.
Margaux : Je pourrais citer Stereolab, pas vraiment comme influence directe, mais plutôt à travers leur évolution. Il y a dans toute leur musique une dimension ludique qui est très inspirante et libératrice. On se rend compte que le champ des possibles est très vaste. J’en avais beaucoup parlé avec Camille, on se demandait si on pouvait partir sur quelque chose de très différent ou s’il valait mieux poursuivre dans la même veine pour ne pas prendre le risque de décevoir les gens. Camille, ça ne semblait pas trop t’angoisser, de perdre des fans ou d’en trouver d’autres, pour toi, autant faire ce dont on a envie… Et c’est ce qu’on a fait sur “Principia”. Moi, je suis déjà en train de retomber dans ce genre de doutes débiles pour la suite ! Alors qu’il vaut mieux ne pas chercher à répondre aux attentes de qui que ce soit.

Camille, comme le disait Margaux un peu avant, ta palette instrumentale s’est élargie sur cet album.
Camille :
Oui, il y a plus de saxo et moins de trompette. Je pense simplement que le saxo fonctionnait mieux avec les nouveaux morceaux. Il y en a aussi, comme “To the Crush”, où je joue de la guitare.
Vincent : C’est une version avec trois guitares qui était une demo au départ et qu’on a gardée en l’enrichissant.
Margaux : Il y a un côté un peu branlant mais on voulait conserver cette fragilité. Ensuite, on a ajouté des petits bruits, Vincent a même enregistré des stations FM.
Vincent : Notamment un concert de piano solo sur France Musique, on l’entend quelques petites notes sur l’intro mais c’est très lointain.
Margaux : Avec Vincent, on voulait un aspect « boîte à musique », un peu nostalgique. Une histoire de grenier (sourire).

Que signifie le titre de l’album, “Principia”, qui est aussi celui du premier morceau ?
Margaux : C’est le petit nom du traité de Newton sur les lois de la gravitation universelle. Ça désigne aussi d’autres ouvrages. Que j’ai tous lus, bien sûr… (sourire) Bon, je me suis un peu documentée sur Newton, au cas où, mais je crois que j’ai tout oublié ! Quand j’écrivais la chanson, je cherchais quelque chose de mathématique et je suis tombé là-dessus. Je trouvais que ça sonnait très bien. Je me suis aperçu ensuite que ça avait d’autres significations qui me convenaient tout à fait. Ce sont notamment les textes pseudo-sacrés d’une espèce de fausse religion [le discordianisme, NDLR], ça désignait aussi les soldats d’élite de la légion romaine, et je crois que nous tous sommes des soldats d’élite ! (rires) Il y avait l’idée de partir en première ligne avec cet album, c’est ce que raconte le disque.

« En France, on a tendance à tout mettre dans des cases. Alors qu’on fait simplement de la musique, quel que soit le genre ou la langue. » (Maxence)

C’est la première pochette sur laquelle vous apparaissez, avec une composition graphique qui par ailleurs rappelle un peu “Fosbury” de Tahiti 80. Là aussi, vous aviez quelque chose à affirmer ?
Margaux : (Elle cherche la pochette de “Fosbury” sur Internet et la montre aux autres) Effectivement, il y a une ressemblance mais elle est totalement fortuite car nous ne connaissions pas cette pochette… En tout cas, ce disque est un peu particulier pour nous et on voulait donc quelque chose de différent. Je suis très fière de ce qu’on a accompli à cinq et je trouvais important qu’on soit tous dessus, qu’on nous voie, tout simplement, même si nous apparaissons aussi dans nos clips.
Maxence : A un moment, c’est une manière d’assumer. On est un groupe, ce serait dommage que ça ne soit pas matérialisé d’une façon ou d’une autre.
Camille : J’aime bien qu’il y ait nos têtes sur l’album, ça fait comme une photo souvenir, et c’est une manière d’incarner notre musique.

Photo : Arno Muller

Aujourd’hui, vous considérez-vous comme un groupe français, ou plutôt comme un groupe
international ?
Vincent : C’est vrai qu’en tant que groupe, on ne se sent pas forcément attaché à la France. Enfin, c’est un sentiment personnel, je ne voudrais pas parler pour les autres.
Margaux : J’ai le même point de vue.
Vincent : Il y a plein de groupes qu’on adore en France mais on ne touche pas forcément le même public. On s’est souvent senti plus facilement acceptés en Angleterre et aux Etats-Unis.
Margaux : J’en parlais récemment avec un groupe que je ne nommerai pas, qui chante en anglais et a un peu le même profil que nous, et ils partageaient une impression similaire. Quand on tourne dans les pays anglo-saxons, on se rend compte que faire une musique comme la nôtre est considéré comme tout à fait naturel, ce qui n’est pas forcément le cas ici. Quand on tourne en France, les gens s’étonnent parfois qu’on ne bouge pas plus sur scène, par exemple.
Maxence : En France, on a aussi tendance à tout mettre dans des cases, à classifier. Alors qu’on fait simplement de la musique. L’essentiel, c’est le plaisir qu’on prend à écouter un disque ou à voir des musiciens sur scène, quel que soit le genre ou la langue. Nos chansons sont en anglais et nos influences plutôt anglo-saxonnes, mais personnellement j’écoute beaucoup de musique française.
Vincent : On ne se pose pas la question de la langue qu’on devrait utiliser pour toucher un public en France.
Margaux : Et pourtant, on nous l’a souvent posée !
Vincent : On choisit le langage avec lequel on est le plus à l’aise, on pourrait voir ça comme une solution de facilité…
Margaux : Je peux te dire que les textes me prennent du temps ! C’est beaucoup de travail.
Vincent : Mais c’est très dur d’écrire en français.
Margaux : C’est très dur d’écrire tout court ! Ce n’est pas tellement une question d’idiome, c’est juste l’idée de trouver un langage à moi pour exprimer ce que j’ai envie de dire. D’ailleurs, mes toutes premières chansons étaient en français.
Vincent : C’est un peu comme trouver le bon son de guitare.

Vous comptez vous mettre rapidement au travail sur le prochain album ?
Margaux :
On a déjà commencé, en fait, on a enregistré les premières démos. Avec “Principia”, on a débloqué plein de trucs dans notre façon de travailler ensemble, et on hâte de mettre ça à profit. L’idée est d’aller encore un peu plus loin, de faire des choses encore différentes.

Photo d’ouverture : Greg Ponthus.


En Attendant Ana en concert :
• le 13 octobre à Angers, Le Garage
• le 14 octobre à Quimper, Novomax
• le 18 novembre à Dijon, La Vapeur
• le 30 novembre à Metz, Les Trinitaires
• le 1er décembre à Nantes, Stereolux


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