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25 ansConcerts

Arab Strap, Philophobia Undressed Tour (Stripped Back), à Slakthuset, Stockholm, le 15 novembre 2023 

Lucky et Crappo sont dans une galère. Crappo boit de l’eau. Qu’est-ce qui reste ? Pierre boit du cider… Arab Strap jouera en duo son album “Philophoabia” le samedi 25 novembre au BBmix à Boulogne-Billancourt. Dix jours plus tôt, ils se produisaient à Stockholm, et POPnews y était. Compte rendu enthousiaste, avec évocation émue du passé.

Au siècle dernier, lors du millénaire précédent, deux poivrots écossais abimés par le climat local, la pauvreté, les substances houblonnées et chimiques tutoyaient les étoiles en se vautrant dans le caniveau. C’était une autre époque : des hordes de fidèles, sorte d’Internationale de la lose, claquaient des sommes astronomiques dans des rondelles de plastique plus ou moins grandes, parfois usagées, guidés par des prophètes qui écrivaient alors les Tables de la loi sur des feuillets de papier glacé, lues et relues, apprises par cœur avant de s’attaquer aux cantiques des Patriarches, ici écossais.

On achetait alors avec la foi du charbonnier les albums de Lucky Pierre (Aidan Moffat), qu’on se forçait à écouter, ou ceux de Malcolm Middleton (Malcolm Middleton, Crappo The Clown éternel) qu’on adorait. Et que celui qui n’a jamais beuglé ”Speed on the M9” sur l’A13 en revenant d’un concert d’Arab Strap à la Guinguette Pirate ou au Trabendo me jette la première (Lucky) Pierre.

Oui, nous avons beuglé, émus comme jamais (ou rarement), et rouges comme le rouquin Middleton pendant le merveilleux “First Big Weekend of the Summer”, final inégalé d’un concert sabordage du duo (augmenté d’autres musiciens sur scène) pour ses dix ans. Fête mémorable d’un groupe qui, avec raison !, avait pris le parti d’en finir. C’était la classe, au moment où tant d’autres reprenaient la route des cachets astronomiques de reformation. Rien que pour ça, ou plutôt pour ça aussi, merci.

C’est dire si on était circonspect à l’annonce de la reformation et d’un nouvel album, “As Days Get Dark”, pourtant merveilleux, et pour le dire vite le meilleur, le plus cohérent, le plus plein, depuis “Philophobia”. Ils auraient pu s’arrêter là et la légende n’en aurait été que plus grande. Mais Arab Strap annonce une tournée… Puis elle se transforme, sur certaines dates (BBMix) en l’horrible (et néanmoins attirante) fête à “Philophobia” dans la grande tradition All Tomorrow’s Parties – là encore un symptôme du siècle (du) passé…

Qu’en serait-il de Stockholm ? Préfèrerions-nous l’Hômmââge ou le devenir ? Le feuilleton dura… jusqu’à ce que soit annoncé quelques semaines avant la date : Philophobia Undressed Tour (Stripped Back).

C’est donc avec des sentiments mitigés et, osons le dire, avec une franche envie d’abandonner la soirée avant son début qu’on se dirige vers la plus mauvaise salle de Stockholm, au nom bien choisi et historiquement sinistre : Slaktkyrkan, l’Eglise de l’Abattoir dans laquelle des hordes de cinquantenaires (au siècle dernier on disait quinquas) vont se faire tondre de quelques chiffres numériques à coups de téléphone et de QR codes.

Première surprise : le public est étrangement mêlé des dits quinquas et d’une proportion égale d’un jeune public né en plein dans les années d’égout de « Philophobia », pas mal attaqué aux pills et gratifiés, sans doute déjà, de bellyaches. Et au moment où je me faisais cette réflexion pas très finaude, je me suis vu transformé en vieux punk chauve à Perfecto dans la MJC de ma jeunesse… 

Passons sur AS Fanning le jeune, folkeux à la Nick Cave, qui ouvre avec les geigneries de son époque : l’anthropocène, les médicaments, l’ennui, les relations molles. On se croirait dans une très bête caricature d’Arab Strap, au point qu’on pense à une blague de très mauvais goût fomentée par les vioques. La guitare se traîne, les paroles aussi, la narration s’enlise. Le type est sympathique malgré tout et a une belle voix caverneuse. Bon…

Puis les deux finissent par investir la scène. Moffat à gauche avec tom basse, cymbale et machines, longue barbe grise de hipster, magnifiquement brossée. Middleton à droite, quasi méconnaissable. Déjà, il est debout… et curieusement bien en chair. Oserait-on le mot ? Bien nourri et… en forme ! Un solide gaillard campé sur ses deux jambes, et non plus assis sur sa chaise, planqué des regards au-delà des premiers rangs, osant sinon affronter le public, du moins se montrer.

Attention, deuxième choc : les deux protagonistes sont sobres. Malcolm ne boira que de l’eau et Moffat, soutenu par deux cannettes de la Cidraie, n’en boira qu’une.

En résulte un concert tendu, avec un Middleton sûr de lui-même (mais pas dominateur) qui tricote comme jamais guitare et basse, impérial, avec un son parfait, puissant mais juste, y compris pour vos serviteurs juste devant les retours (c’est dire). Moffat ne la ramène pas, introduit sobrement l’anniversaire de “Philophobia” (« une belle fête juste avec nous deux… ») et déclenche le concert en tapant sur sa drum machine. Quelques regards vers son acolyte, pour se caler, comptant les temps parfois. On n’est visiblement pas là pour rigoler.
C’est finalement le meilleur concert d’Arab Strap qu’on ait vu, techniquement. Moffat chante admirablement bien, avec cet air goguenard et sa voix terriblement sensuelle, avec ce talent de conteur qu’on lui connait. On boit du petit lait (acide) tellement c’est bon. Comme pour Middleton, on saisit chaque mot, clair comme du cristal et on se replonge dans les chansons comme à la belle époque, Discman dans le sac à dos. On constate également à quel point le profond monde sonore d’Arab Strap tenait, et tient encore, à un dispositif très minimal, parfaitement efficace.

Aux grincheux qui n’ont jamais voulu l’entendre ou le croire, ces deux-là distillent une véritable magie sur scène. Et le gros Moffat, tout rougeaud, aux pommettes saillantes de nain de jardin monstrueux, capte l’attention comme personne. Il y a une science du tenu de baguettes, de danse du pied de micro, d’ondulations du tour de taille qui force le respect et l’admiration. Moffat, c’est notre Beyoncé.

Je vous passe les détails mais enchaîner tout “Philophobia”, quasi sans pause, c’est le petit Jésus en kilt de velours. “Packs of Three”, “Soaps”, “Here We Go”, “New Birds”… Y a de quoi souhaiter mourir après ça. On est tellement tétanisés qu’on ne pense même pas à filmer…

Le tout dans un silence religieux, pas de cris, pas de chants, beaucoup d’yeux fermés…

C’est presque étonnant d’entendre Moffat déclarer finalement, après “The First Time You’re Unfaithful” : « so that was the old songs… All of these may not be true but THAT relationship was a foucking disaster.. but at least… I was self aware», avec une emphase sur foucking disaster. Balancé comme un cri du cœur d’un corps et d’un esprit quasiment ailleurs qui soudain se réveillent en pleine sordide réalité.

C’est donc après un rapide saut dans les coulisses (pour se repoudrer le nez ?) qu’ils rempilent pour jouer « quelques titres » du dernier album et Moffat de se métamorphoser, de se jeter sur le pied de micro, comme s’il entrait sur un ring, pour balancer le titre initial, “The Turning of Our Bones”, avec une toute nouvelle énergie et presque une envie d’en découdre. Comme s’il s’était dépouillé d’un passé encombrant pour être enfin soi.

Très étonnant aussi l’énergie de la salle (la part jeune) qui se met à réagir comme Moffat, hurlant et accueillant les nouveaux titres, pour lesquels ce public était sans doute venu, en criant de bonheur, chantant sur la récente (et fort bonne) “Fable of the Urban Fox”…

Et si Arab Strap avait manqué de confiance dans ses propres forces et sous-estimé l’attente d’un public qui serait venu pour sa nouvelle jeunesse sonique ? C’est ce qu’on ne peut que conclure avec le relâchement d’énergie et le tonnerre de joie qui accompagnent ce final hors « Philophobia » alors que “New Birds” a été écouté religieusement….

Moffat en fait des tonnes, y compris sur son tom bass qui semblait n’attendre que ça… de se chauffer avant le final de “Girls of Summer”, éruptif malgré les conditions limitées du duo.

Ragaillardis, nous aussi, par cette cure de jouvence, on espère tout… un “Shook Me All Night Long” d’AC/DC ? un “First Big Weekend” des familles ?

Après quelques mots sur cette tournée sans possibilité de jouer d’autres titres que ceux-ci, travaillés pour cette formule power duo, « it’s just the two of us flying from place to place so I have basically nothing to sell» avec un sourire malin, désolé et rageur à la fois, Arab Strap conclut sobrement par un “The Shy Retirer”,  dernier titre, certes, « mais c’est une longue chanson »

On appréciera, ou pas, le départ en Grands Seigneurs méchants hommes avec un index pointé vers un membre du public accompagné d’un petit doigt d’honneur à l’anglaise et un petit sourire mauvais de Moffat ramassant ses bouteilles à bras le corps et s’enfuyant avec son petit trésor.

Arf… Si seulement ces gars-là avaient misé sur la tournée… 

Mes pensées, en ce jour de fête, vont à Guillaume Sautereau, Mathieu Malon, Refau (feu chroniqueurs de ce site), Aymeric M., Boris V., Etienne Greib, Felicia Atkinson, ex-Dirge, Sundayer, aux Rouennais et Rennais qui prendront le train ou la bagnole (qu’on adore !) pour aller à Boulogne ce vendredi : ce sera bien les copaines ! (Il paraît qu’on dit ça, maintenant, quand on n’est pas un daron-boomer…)

Avec l’aide de Johanna D. Strapiste forever.

Setlist :

TOUT Philophobia

Rappel :

The Turning of Our Bones

Fable of the Urban Fox

Girls of Summer

The Shy Retirer


One comment
  1. Aymeric

    Je lis cette superbe chronique après coup, mais oui, bien sûr que je suis allé les voir ! Soit dit en passant, ils en ont profité pour annoncer un nouvel album en 2024, et sans doute une tournée dans la foulée ! (j’espère pas au Trabendo, on voudrait qu’ils changent un peu de salle)

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