Et si la country était le meilleur véhicule, avec son humour, de nos petites douleurs amoureuses ? La Stockholmoise Karolina Brännström et son power band contemporain dissèque son moi à la mode Nashville.
Attention pub copinage (comme on disait dans le magazine “Fluide glacial”) : les groupes de gamelan peuvent cacher en leur sein d’étranges animaux, comme un guitariste de psyché rock culte et hallucinant, une chanteuse country, au milieu d’érudits entomologistes et autres passionnés… de musique indienne ou de robotique. Cette tribu, au-delà des profils divers, est surtout une bande de joyeux drilles et Karolina Brännström en est l’un des cœurs lumineux. Quand elle ne frappe pas des gongs dans le bow-window d’une charmante maison de la banlieue sud de Stockholm, qui fut, en outre, la maison d’enfance de Sven Nykvist, directeur de photo attitré de Bergman (et de Tarkowski pour Le Sacrifice”), Karolina Bränström officie au premier rang d’un groupe country de haut niveau, dont voici le premier disque.
Je ne suis pas un fan revendiqué de country, que j’ai toujours goûtée diluée, que ce soit avec Crosby Stills Nash and Young, avec un autre exilé en Suède, Lee Hazlewood, ou encore cuisinée à la sauce americana avec Wilco (cf. le récent “Cruel Country”). On ne m’en voudra pas de ne citer ni Taylor Swift ni Beyoncé et, plutôt que de revisiter le genre par le goût du jour, je vous encourage à jeter plus qu’une oreille à ce “No Urge to Run”, confit dans son pur jus de Nashville, comme l’exige la recette, mais surtout révélateur d’une attention contemporaine et surtout d’un vrai talent d’écriture, avec ses miniatures condensées de (res)sentiments et d’un spleen bien réel.
Ainsi, la face A est un document de la part ombragée de la rupture (No Reward, Choice of Gear), du chagrin (I Don’t Mind the Tears), de la dépression et de la résilience, à venir… (What Doesn’t Kill You Makes You Stronger et Be Myself Again).
Quant à la face B, elle est bel et bien l’opposée de la première, avec une remontée en selle morale (No Urge to Run). La page est-elle tournée quand on regrette, aussi, les mauvais moments (The Bad Parts) ? Peut-être. Quoi qu’il en soit Being by Yourself est bien une remontée vers la lumière.
Et Karolina s’offre, sur cette face plus claire, deux autoportraits réussis : The City Flair dans lequel elle explore et revit le mythe, encore, de la country girl fraichement débarquée dans la grande ville et du sentiment d’étrangeté qui en découle, et Needle and Thread, ode à l’artisanat, des ouvrages dits féminins à la fabrication de chansons. C’est une ode au travail passionné et patient mais quelque chose qui parle aussi sans doute de l’amour et du destin et du temps (de Pénélope à la tapisserie de Bayeux-qu’-on-ne-devrait-pas-prêter-à-la perfide-Albion).
La country, outre son cahier des charges et des sons très codifiés, est un genre dans lequel l’humour se love assez bien (rappelons le titre country d’Elvis Costello, Stranger in the House) et si on pleurniche beaucoup dans « No Urge to Run », on le fait presque avec le sourire, du moins avec une autodérision salvatrice :
« Put up posters all over town
I’m the most unwanted person around
There will be a picture for all to see
But no reward…
for the likes of me »
ou encore avec une belle dose de franchise et d’introspection :
« I don’t mind the tears
I mind what they reveal »
Avec Karolina Brännström, je ne peux pas m’empêcher de penser à la chanson de notre ami et ex-collaborateur Maison Neuve, Swedish Bands in Vintage Shoes, et à tous ces groupes scandinaves flamboyants, tant dans leur apparat que par leur maestria, qui ont fait s’exiler tout un tas de nos compères (nous inclus) d’ici pour la scène musicale de là-bas. Et le groupe que Karolina Brännström a réuni est de cette trempe-là, du genre à quasi renouveler leur son en fonction de l’espace et du groupe disponible (intimiste, large band, rock…) réussissant ainsi à intéresser et passionner en dehors de leur stricte chapelle (on les a vus récemment sur la scène du festival Fool’s Gold de Södermalm, plutôt indie de strict obédience).
Les parties de guitare lead (y compris pedal steel) hormis la twangienne Buckle Up, sont signées Mathias Danielsson et c’est du grand art. On pense d’ailleurs en l’entendant, à chaque fois, au CSN&Y et à ses dérives dans un ailleurs psyché qui rappelle aussi ses propres aventures au sein du groupe de prog/psyché improvisé My Brother The Wind mais aussi, dans des moments plus enlevés à un jeune gandin mod dont il arborait la coupe cet été.
Et s’il lâche ses guitares, c’est pour prendre la flûte à bec sur Needle and Thread, quand ce n’est pas, le jeudi soir, le demung (toujours en banlieue sud).
Quoi qu’il en soit, Karolina Brännström et ses musiciens, loin d’un groupe de musée, proposent une country revivifiée, orthodoxe mais qui fleure bon des influences variées sur un arrière fond solide et contemporain, que ce soit, par exemple, dans Be Myself Again, duel de miaulements de guitares et groove qui balance pas mal (à Stockholm) ou What Doesn’t Kill You Makes You Stronger avec des guitares qui zèbrent les nuages du mellotron.
Plus intime, le final carte postale Fall at Lake Kawana se compose de quelques notes de piano et de pedal steel, comme un haïku musical, une impression soleil couchant (ou levant ?) sur la côte est australienne.
Somme toute, un bel album et une formation optimale qui ne rebat pas les cartes du genre mais exploite à fond ses codes pour livrer un petit précis des sentiments post-rupture, donc très personnel, touchant et plein d’humour (Choice of Gear), qui devrait séduire les amateurs et même un public plus large (on pense notamment au festival Les femmes s’en mêlent).
Avec l’aide de Johanna D., guilty, comme moi, in failure in the first degree
“No Urge to Run” est sorti en LP chez Ella Ruth Institutet en 2024 et peut s’écouter sur Youtube ici.

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