Wilco light mais pas au rabais (triple album tout de même !), Tweedy avec ses fils et leurs potes bricolent, tricotent, sculptent au couteau un petit bijou qui est sans doute le meilleur de la décennie. Soit un recueil de ce que l’Amérique produit de mieux (Beatles inclus) depuis que le folk est rock.
Avant d’aborder ce “Twilight Override”, on peste devant la corvée de résumer l’excellence de ce triple album en quelques lignes. Wilco est le plus grand groupe américain du monde, OK. Tweedy, depuis ”Sukierae” en 2014, prend toute la lumière et démontre qu’il n’a pas besoin de ses comparses pour régner sur l’Olympe, c’est entendu.
Quand va-t-on redescendre dans le médiocre ? Il y a bien eu « Cousin », tout juste décevant, mais vite oublié par un court mais essentiel « Hot Sun Cool Shroud » (2025).
« Love is the King » n’effaçait pas « Warm » mais ce « Twilight Override » est à ranger pas loin de « Sukierae », injustement mal aimé, et très très près des meilleurs Wilco (oui, le diptyque).
Comme « Sukierae », « Twilight Overide » est fondé sur la famille Tweedy. Le paternel auteur-compositeur, Spencer à la batterie et Sammy aux claviers. Spencer convie ses amis (claviers, violons, basse, chœurs) de Fimom avec lesquels ils joue habituellement et l’équipe est réunie, comme on peut l’imaginer, dans le garage de la famille (en fait au Loft studio avec Tom Schick à la production… donc dans le garage de luxe de Wilco).
James Elkington (ex-The Zincs sur le label Thrill Jockey) tient la guitare sur quelques titres… pour ne rien laisser au hasard. Alors oui, ce Tweedy band familial et amical n’est pas la prodigieuse machine de guerre Wilco mais on n’en est vraiment pas loin.
Le fiston n’est pas Kotchke, on l’a dit, mais dans un style plus léger, plus ramassé, moins touffu, sur un kit très sommaire mais diablement efficace, c’est un contrepoint de Wilco, une autre façon de faire et d’entendre. On n’est pas dans des finasseries de production et si Tweedy voyage léger, il n’en est pas moins plein de guitares dépouillées, bourgeonnantes voire turgescentes, picking fin, dérapages noise : tout y est.
Comme on l’a dit de nombreuses fois, Tweedy est plus que l’âme de Wilco, il en est aussi la charpente sonore. D’où un album qui passe, de loin, pour du Wilco en mode démo (sur)préproduite mais qui comble dans la richesse de sa production. Ainsi on tentera toujours de reconstruire mentalement ce que cet album aurait donné dans les mains de Wilco. Et la marge est faible.
Si « Hot Sun Cool Shroud », et l’ensemble de Wilco post « Sky Blue Sky », est plutôt solaire, Tweedy aborde sa face lunatique sous son propre nom. D’où une unité plastique noir et blanc pour ses albums solo-familiaux, des compositions légèrement (faussement ?) mineures pour aborder ses diverses phases. Le Tweedy a le vague à l’âme, entre mélancolie et migraine, et compense ses idées noires par la création. D’où ce triple album, lunaire, qui le révèle sous tous ces angles : prise de notes sur le vif, rêve-cauchemar surréaliste, nostalgie du rock’n’roll, regards amoureux sur sa famille ou son aimée, et le montre toujours prêt à rendre hommage à ses idoles par l’allusion, la citation ou le style. Et toujours l’amour, non pas sujet de dissertation mais soleil rayonnant qui nous illumine de son reflet lointain, nocturne et plus embrumé, via l’astre humide.
Donc chacun naviguera dans ce triple album et ses trente chansons, en picorant ou en allant à l’essentiel. Tout n’est évidemment pas grandiose mais comme dans les meilleurs Beatles, on passe du trivial au sublime et c’est aussi pour ça qu’on les aime.
Revue non exhaustive :
Disque 1 :
”One Tiny Flower” est une chouette chanson qui s’abime comme dans I’m Trying break to break your heart. Et toujours, donc, la fêlure, morale, sociale, économique. Et malgré tout la vie.
« The grass is growing
All over town
From the cracks in the sidewalk
Where the shops shut down
One tiny flower I’m jumping over »
Sur ”Parking Lot”, Tweedy s’offre un vrai parlé-chanté surréaliste rêve cauchemar-symbolique sur de quoi sont fait les moteurs (de chansons ?) et c’est son “Looking through the glass onion”.
”Forever never ends” est ressassement d’un épisode douloureux de cuite et de bal de prom mal digéré.
« In a side of the road
In a tuxedo
Three below zero
In a red cummerbund
(…)
I had to all my dad
I knew he’d be mad
I’d never seen him not mad
Vomit in the frozen grass »
Avec un final glorieux sur la permanence du souvenir et son trauma.
“Forever never ends
I’m always back there again and again”
Sur ”Love is for love”, la famille Tweedy est seule au commande. Encore un récit de gueule de bois, celle-ci récente. Nouvel an ou plein été. Les temps se mélangent, la mélancolie reste.
“I called for you
then they were gone
A planet without moons
A clock with no noons
Too late too soon
Love is love”
Sur ”Mirror”, ce sont les grondements sourds de claviers qui accompagnent une introspection quasi bergmanienne (Persona).
”Secret door” est un récit d’amours adolescentes aussi discret que mystérieux comme le restera sans doute ”Going To Queens” des Mountain goats.
Sur ”Betrayed“ on est dans un précis de vie familiale et dans l’inquiétude d’une trahison. Et toujours cette maestria : ici une intro qui traîne et une fin brouillonne. Le tour est joué.
“Sign of life” c’est l’amour version country-Neil Young avec des chœurs Beatles magnifiques.
“I am death
I am night
I’m everything you fear
Is not quite right
And you still love me
Right ?”
Sur ”Throwaway lines”, Jeff et Macie (violon) jouent les spartiates… avec deux bouts de ficelle :
“With throwaway lines
It’s best I can do
With throwaway lines like I love you
They don’t have to be true”
Et avec ça, on a déjà notre quota de bonheur. Mais ça continue…
Disque 2 :
Et déjà un autre tube ”KC No Wonder”, chantons l’amour. Chantons la mélancolie.
“I Only care about the cat
Some of this, a little of that
Fat chance I’ll sing the blues
No wonder
I’m so confused
High in the morning
High in the evening
When I’m sleepin
I’m with you”
Et on enchaîne avec un autre tube ”Out in the dark”, soient quatre accords parfaits et une guitare bourgeonnante à la Flowering, des chœurs charmants, un feulement de cordes. Et c’est le paradis.
Sur ”Better song”, ce sont peaux sourdes et guitare en sourdine qui grésille et part en brouillard. Avec un chœur tranquille.
”New Orleans” est un folk beatlesien avec une guitare qui part en sucette. Et c’est aussi lysergique que la parade d’Easy Rider.
”Blank Baby” est une pop de peu qui prend de l’altitude avec des chœurs en apesanteur, des cordes rehaussées d’un gizmotron pour une atmosphère très angélique.
”No one’s moving on” est tendue comme du Wilco motorik (pour les malentendants Spiders (Kidsmoke)) avec une guitare en dérapage contrôlé, parfaite. Sur une adresse à Dieu (encore une) et l’incongruité d’être au monde.
“I wanna dance right into the light
But there’s no point beating the drum
Who knows what hides in the rhythm?
Mom look what they’ve done to my song”
Feel free est un folk neil youngien, “dehors le weekend”, un peu paresseux et long (7mn). Chanson pour laquelle on est invité à rajouter nos propres vers sur le site. Au-delà de la facilité, il y a une mélancolie et une ironie amère qui s’invitent aussi et apportent d’autres couleurs aux apparents bons sentiments :
“Feel free
to never listen and always speak
To never learn and try to teach
Feel free »
Disque 3
Idem pour ”Lou Reed was my baby sitter”, nouveau tube de Wilco/Tweedy pour l’éternité et meilleur hommage à Lou Reed, peut-être même à Doug Yule par ricochet et forcément à Neil Young (”Hey hey my my”,…) et à Iggy (tout le monde est là : « I wanna hear the idiot sing »). Mais c’est, surtout, une digne suite à ”Heavy Metal Drummer”.
On n’y croit pas une seconde mais c’est évidemment très bon :
“I wanna sweat next to you
Sweat next to you with a sticky carpet sucking on my shoes
Cause rock n roll ain’t never gonna loose
Nah-ah”
Amar Bharati est une miniature charmante un Dear Prudence à la Tweedy, une vignette Instagram qui confine au sublime. Magie de Tweedy qui touche à l’infini avec quelques paroles : le type qui a écrit I’m trying to break you heart mérite notre respect éternel et Amar Bharati aussi :
“The arm Amar Bharati
Lifted in the air
Is still there
In the air
Since 1973
It’s not a made up story
Or Hyperbole
It’s right there
In the air
Since 1973 »
”Weeding Cake” est beau et bizarre comme du John Lennon :
« I’m a me
More than a we
Is that what you need?”
Quant à ”Stray Cats in Spain” c’est encore une belle maîtrise d’un tube lumineux, hommage autant aux Stray Cats qu’à l’Espagne où Wilco a ses habitudes, avec trois fois rien et c’est parfait.
Tout comme avec ”Twiligt Override” : une simple répétition de motif, rien de trop, rien d’inutile mais être toujours dans l’entre deux, le gai, la mélancolie. Notre éternelle insatisfaction parfaitement consolée par Tweedy :
“My mind is moving fast
Faster than my stash can last
I’d love a quiet day
Someplace where I could go and stay
Override
Twilight”
Sur ”This is how it ends”, on est dans out on the weekend encore ! C’est un récit de rupture en haut de la Ferris Wheel, la grande roue de Chicago, celle vue aussi dans ”Meet me in Saint Louis” de Minnelli, contrepoint gai de la chanson. Image impérissable de l’amour (adolescent donc éternel) déçu.
« Night time
Up in the air
At the fair
Where you wanted to go
On the old low
Ferris Wheel
Stopped at the top
Where nothing looks real”
The stars
Started to spin
When you looked at me
You said
“We can still be friends
Close your eyes
Count to ten
This is how it ends”
”Cry baby cry”, si on n’est pas dans l’hommage Beatlesien direct avec un titre pareil… Mais on est encore dans une chanson-souvenir americanienne en diable, avec toujours des visions d’un ours empoté, de moments partagés sur un toit la nuit et des éternelles larmes.
Un rêve de blues de porche, avec citronnade, porte-écran à moustique qui claque et rocking chair.
Et pour finir ”Enough”, un Wilco tweedy classique, honky tonk tranquille avec un ronron de guitare charmant. Et un final comme on les aime :
“It’s hard to say in love
It’s hard to say in love
… with everyone »
3 LPs, 30 titres et pas loin de deux heures de bonheur. Si on ajoute le beau coffret en carton et les pochettes individuelles, les détails comme les phases de la lune sur les pochettes (et pour les chanceux la casquette…), la guitare croissant, les vinyles jaunes « solar flare »…. Quel bel objet….
Une fois de plus, plutôt que de chercher à se distinguer en trouvant la nouvelle sensation, optons pour le meilleur, notre Nounours, notre Neil Young Armstrong, celui qui décroche la lune pour nous : Tweedy avec ou sans Wilco.
Bonus pour les loners et les fans de cruising : une vidéo de l’intégralité de l’album dans l’autoradio de Tweedy qui chantonne (et grignote), vu depuis le siège passager.
Avec l’aide de Johanna D., toujours en phase.
« Twilight Override » de Jeff Tweedy est sorti en triple LP, CD et numérique le 26 septembre 2025.
