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Interviews

Lambchop – Interview

Formation de Nashville à large effectif jouant de la country comme un groupe de rock indépendant (à moins que ce ne soit l’inverse), Lambchop sortait en 2000 l’album “Nixon”, qui les voyait s’ouvrir à des influences soul parfaitement digérées. Porté par l’entraînant single “Up With People”, ce chef-d’œuvre allait les faire connaître d’un public plus large en Europe, un changement de statut confirmé deux ans plus tard par le tout aussi merveilleux “Is a Woman”. Peu enclins à se retourner sur leur passé, les Américains – désormais en septette, une petite formation pour eux ! – ont pourtant accepté de rejouer l’intégralité du disque (plus une poignée de titres récents ou non et deux reprises bien dans le ton, “Give Me Your Love” de Curtis Mayfield et “Young Americans” de David Bowie) sur scène lors d’une récente tournée passant notamment par Paris. L’occasion de s’entretenir une nouvelle fois, quelques heures avant un concert somptueux à la Gaîté-Lyrique, avec le très sympathique et modeste Kurt Wagner, l’homme à l’éternelle casquette.


Quels souvenirs gardez-vous de l’enregistrement de « Nixon » ?

Le contexte était assez particulier. Nous avions tous un travail, on ne pouvait se retrouver que le week-end. Nous profitions donc des studios d’enregistrement à un tarif très intéressant, car aussi étrange que cela puisse paraître, personne n’y travaillait le samedi et le dimanche. L’enregistrement s’est étalé sur une longue période. J’en garde vraiment de très bons souvenirs. Du fait des faibles tarifs, nous avons pu travailler dans des studios de qualité. L’industrie musicale à Nashville était très différente à l’époque. Tout était orienté vers la country, et les ingénieurs du son étaient donc vraiment contents de travailler sur quelque chose qui les sortait de la routine. Notre idée de départ pour l’album était très ambitieuse. Nous rêvions d’un disque qui ait plus de succès commercial que ses prédécesseurs. On voulait s’éloigner des sonorités indie rock pour que ça sonne comme si nous avions investi beaucoup d’argent dans son enregistrement. Sacré défi alors que nous étions fauchés ! (rires)

C’est le dernier disque de Lambchop à avoir été enregistré en analogique. Est-ce quelque chose qui vous manque ?

Ce n’est pas tout à fait exact, “Is a Woman”, sorti deux ans plus tard, l’a aussi été. Par la suite, nous avons été forcés d’enregistrer en numérique à certains stades de la production. Nous avons résisté assez longtemps, jusqu’à ce que la technologie s’améliore. Aujourd’hui, nous enregistrons certaines pistes en analogique dans le but que le son soit plus chaleureux. C’est un travail assez subtil, c’est pour ça que nous attendons la fin de l’enregistrement pour trouver le juste équilibre.

Quelle place occupe “Nixon” dans votre discographie, et quel regard portez-vous sur ce disque quinze ans après sa sortie ?

Je pense que c’est un très bon disque. Il aura toujours une place particulière du fait de son succès au Royaume-Uni où il s’est très bien vendu, alors que curieusement, « Is A Woman », son successeur, a mieux marché dans le reste de l’Europe. (rires) Mais ça ne m’a pas dérangé car je pense que les deux albums se valent en qualité. C’est également une période mémorable car nous étions entre 15 et 17 personnes dans le groupe. Ça ne nous est jamais arrivé depuis. Avec du recul, ça paraît complètement fou ! D’autant plus qu’avec le succès de ces deux disques, nous avons commencé à nous produire davantage en concert, et je vous laisse donc imaginer la difficulté avec autant de monde ! (rires). « Nixon » a également eu un impact sur ma vie personnelle. Grace à cette popularité soudaine, j’ai pu arrêter de travailler (comme charpentier, ndlr) pour me consacrer pleinement à la musique. C’est arrivé au bon moment car ma santé m’aurait empêché de poursuivre mon job. Quelle heureuse coïncidence !

 

Comme d’autres albums de votre répertoire, “Nixon” n’a pas pris une ride. Quel est votre secret ?

(Flatté) On ne se rend pas vraiment compte sur le moment que le disque va bien vieillir. Cela vient peut être du fait qu’à cette période personne n’explorait vraiment le côté soul de la musique. Surtout dans le milieu indépendant. Tout ce qui intéressait les groupes, c’était de coller à la mode. Nous n’avions rien calculé ni planifié, on réécoutait juste les classiques soul avec lesquels nous avons grandi et ces sonorités se sont intégrées naturellement aux chansons. D’où les tentatives plus ou moins habiles de falsetto sur certains titres (rires). Je pense que c’est ce qui a fait que ce disque a fonctionné. Il était déjà hors mode à sa sortie.

Quel regard portez-vous sur la trajectoire du groupe depuis cette période ?

On a été pas mal occupés avec les disques et les tournées qui ont suivi. Le groupe a maintenant vint ans, mais notre public a aussi vingt ans de plus ! On a continué à avoir pas mal de succès avec les albums suivants. Mais les choses peuvent changer. J’espère juste pouvoir continuer à composer, sortir des disques, tourner. C’est un défi permanent car j’ai aussi envie que de nouvelles générations s’intéressent au groupe. Je ne veux surtout pas que Lambchop devienne l’un de ces groupes dont on ne parle qu’au passé. Je ne sais pas si je vais y arriver, mais en tout cas je vais essayer ! J’adore voir ce mélange de générations à nos concerts. Mais je suis aussi conscient que les changements dans l’industrie du disque et de l’organisation de concerts compliquent les choses pour les groupes et leurs publics. Le prix des billets ne facilite pas la venue des plus jeunes. Mais que faire ? A notre niveau, le groupe doit s’adapter à certaines règles, et se tenir à un budget très strict.

L’idée de jouer l’album en intégralité vient-elle de vous, ou est-ce quelque chose qu’on vous a proposé ?

Cela fait des années qu’on nous demandait de le faire. J’avais toujours refusé car je n’aime pas trop regarder en arrière. Mais l’an dernier, notre maison de disques a réédité l’album et nous a à nouveau proposé cette opportunité. La raison pour laquelle j’ai accepté est liée au décès soudain d’un des membres du groupe (le bassiste Marc Trovillion, en 2013, ndlr). Il nous a quittés au moment où l’on travaillait sur cette réédition de “Nixon”. Nous avons été très affectés par sa disparition, cette tournée est notre façon de lui rendre hommage.

 

Auriez-vous pu le faire avec un autre de vos albums, ou est-ce “Nixon” qui s’y prête le mieux ?

Nous avions déjà eu l’occasion de jouer « Is a Woman », au moment de sa réédition. On s’était bien amusés mais il manquait quelque chose. Contrairement à « Nixon », il n’y avait pas de motif vraiment personnel pour nous pousser à le faire. En règle générale, je préfère jouer sur scène les titres du dernier album.

Sur scène, interprétez-vous les morceaux du disque de la même façon qu’à l’époque de sa sortie ?

Pas tout à fait, et c’est l’autre raison qui m’a justement poussé à faire cette tournée. Je voulais faire le lien entre les musiciens que nous étions à l’époque et ceux que nous sommes aujourd’hui. Nous avons travaillé dur pour faire un compromis entre les deux. Il était de toute façon hors de question de partir en tournée avec une section de cordes de dix personnes. Nous aurions alors donné l’impression de donner à écouter la version studio de l’album. S’ajoutaient à cela quelques difficultés. Par exemple, nous n’avions jamais joué la dernière chanson du disque en live car c’est typiquement un morceau créé en studio. J’ai dû la réécrire complètement. Et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Le public est généralement étonné car il se demande d’où sort ce morceau. (rires)

Tout au long de votre carrière, vous avez sorti des CD en autoproduction et en édition limitée. Quelle en est la raison ?

Pour être honnête, la plupart des groupes le font car ils ont besoin de fonds pour financer leurs tournées. Pour celle-ci, nous avons pressé 500 vinyles (numérotés et ressemblant à de simples test pressings, ndlr). Ce sont quatre morceaux que nous avions enregistrés dans un excellent studio d’enregistrement après la sortie de « Nixon ». Je réécoutais de vieilles bandes et je me suis dit : « Wow, ces morceaux sonnent vraiment bien, pourquoi ne les avoir jamais publiés ? ».


Un nouvel album du groupe est-il prévu après cette tournée ?

Nous avons déjà commencé à maquetter quelques titres. On se remettra au travail après la tournée et nous allons voir où ça va nous mener. On espère pouvoir sortir un nouvel album début 2016.

Vous aviez pour habitude de sortir un album tous les ans ou tous les deux ans. Ces dernières années, vos sorties sont plus espacées alors que vous avez quitté votre travail pour vous consacrer à la musique à plein temps. Cela paraît contradictoire.

J’ai été le premier étonné également. Promouvoir un album prend plus de temps maintenant. Les tournées sont plus longues. A la fin de celles-ci, plus personne n’a envie de te voir pour un moment (rires). Un autre facteur est qu’il y a tellement de disques qui sortent que tu as l’impression que si tu gardes un rythme de publication trop intensif, ton album va se noyer dans la masse. Si, comme nous, tu peux te permettre d’espacer de trois ans tes enregistrements, c’est l’idéal. J’en profite pour essayer de trouver de nouvelles pistes pour le groupe, collaborer avec des gens, etc. Il faut aussi avouer que les années passant, composer ne m’est plus aussi facile et me prend de plus en plus de temps si je veux aller jusqu’au bout de mes idées.

Vous-même avez effectivement collaboré avec d’autres artistes (Josh Rouse, Cortney Tidwell), et plus récemment sur le superbe album solo de Tim Burgess. Avez vous parfois le besoin de vous échapper de Lambchop ?

D’une certaine façon, oui. Je travaille en ce moment sur un projet avec Scott Martyn et Ryan Norris de Lambchop. Le groupe s’appelle Here Comes The Airplane. C’est très différent de ce que nous produisons avec Lambchop. L’idée de départ est de partir d’un morceau de dance music et de lui donner un aspect de chanson plus traditionnel. On a commencer à travailler sur ce disque il y a trois ans et nous avons presque achevé son enregistrement. Nous composons les chansons tous les trois. Il y a des chances qu’il sorte cette année. J’ai adoré travailler avec Tim Burgess sur son disque. Nous avons aussi travaillé sur une chanson qui n’est pas encore sortie. Tout va tellement vite avec lui. Je n’arrive pas à le suivre !

Vous sentez-vous toujours aussi bien à Nashville ?

Dans quelle mesure cette ville a-t-elle une influence sur vos compositions ? La ville a toujours eu une grande influence sur mon travail car j’y ai grandi. Dès les débuts du groupe, notre son faisait référence à la ville. Nous ne sonnions pas country même si c’est le type de musique que les natifs de Nashville composent. La ville a beaucoup changé ces dernières années. Beaucoup de gens de l’extérieur sont venus y habiter. La plupart viennent de Brooklyn. Mais ça reste toujours une ville de songwriters. Même si de nos jours, beaucoup d’entre eux n’y ont pas grandi et composent autre chose que de la country, on ressent tout de même l’esprit de la ville dans leurs compositions. Cela paraît étrange et difficile à expliquer, mais cela en dit long sur l’influence de Nashville sur ses habitants.

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