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Disques

Raretés confinées (1) : “Temporary Loan” d’Edith Frost

Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “Temporary Loan” d’Edith Frost (1997).

J’avais découvert ce morceau d’Edith Frost sur “Un été 97”, sans doute l’une des meilleures compiles sorties par Les Inrocks (on y trouvait également Broadcast, Supermalprodelica, Belle and Sebastian, OP8, Elliott Smith et Jim White, entre autres ; une belle époque). C’était l’été, donc, mais la chanson avait quelque chose d’hivernal, au diapason du patronyme de son auteur, apparemment authentique, et de la pochette de “Calling Over Time”, l’album qu’elle ouvrait : un gratte-ciel et le reste d’un paysage urbain qui semblait photographié à travers un pare-brise givré. On apprenait que l’artiste, âgée alors de 33 ans, s’était installée à Chicago après avoir signé sur le fameux label local Drag City pour ce premier album. On n’était donc pas étonné de retrouver dans les crédits des grands noms de ce qu’on appelait alors le post-rock comme Rian Murphy, David Grubbs ou Jim O’Rourke, mais aussi Sean O’Hagan (Mircodisney, The High Llamas…). En ces temps pré-Internet, c’est à peu près les seules infos que l’on avait à se mettre sous la dent.

Ecouté en boucle, “Temporary Loan” dévoilait une voix d’une intense mélancolie, qui se déployait sur une trame instrumentale lente et minimale : une guitare acoustique, un clavier, un peu de violon par moments… Pas très loin de ce que pouvaient offrir Cat Power ou Tarnation à la même époque, mais avec une façon toute personnelle de faire résonner le silence, une douceur dans l’interprétation qui rendaient la chanson totalement addictive. Le texte parle de dépit amoureux, thème bien ordinaire (“He no longer loves me/I’m supposed to forget about him/I was just a harbor/A temporary love/On loan…”), même si celui qui l’a abandonnée a tout du “stalker” ou du pervers narcissique (“He snuck into my secret files and he read my mind”, “He sneaks around my secret life”). Enfin, tout cela ne nous regarde pas.

Fin novembre 97 (je n’ai pu retrouver la date exacte), Edith Frost joue à Colmar, invitée par l’association Hiéro. J’habite alors Strasbourg et, avec un ami venu me voir, nous décidons de visiter la ville dans la journée et d’aller l’écouter le soir. La chanteuse fait la première partie d’un ciné-concert du Boxhead Ensemble, collectif qui interprète live la B.O. très atmosphérique de “Dutch Harbor: Where the Sea Breaks Its Back”, un documentaire indé sur l’industrie de la pêche en Alaska, tourné en 16 mm noir et blanc granuleux.
Il me semble que les musiciens qui accompagnent Edith Frost ce soir-là jouent également dans le Boxhead Ensemble, et qu’ils sont pour la plupart originaires de Chicago, mais pas sûr que ce soit ceux de “Calling Over Time”. Bref, mes souvenirs sont assez flous (si ce n’est que musicalement, la soirée était magnifique) et j’ai depuis longtemps perdu l’affichette du film. La seule preuve tangible de ma présence est la dédicace d’Edith sur l’avant-dernière page du livret du CD (curieusement laissée vierge, avec “NOTES” imprimé en haut, comme dans un guide touristique), que j’avais donc dû acheter après le concert : « Hey Vincent! Thanks for coming to our show! Love, Edith Frost ».

Si aucun autre morceau de “Calling Over Time” ne se hisse au niveau de “Temporary Loan”, l’album est d’excellente tenue et je le réécoute toujours avec autant d’émotion. L’année suivante, j’achèterai le deuxième, “Telescopic”, un peu plus orchestré et électrique (il est produit par le duo Royal Trux), sans y retrouver tout à fait la magie du précédent. Deux albums ont encore suivi, “Wonder Wonder” en 2001 (enregistré par Steve Albini) et “It’s a Game” en 2005, que je n’avais jamais écoutés jusqu’à aujourd’hui. Il y a aussi trois EP (j’ai le second, “Ancestors”, sans doute acheté chez Rough Trade à Paris) et une compilation numérique de démos, dont celle de “Temporary Loan” à écouter ci-dessous. Edith Frost aurait déménagé du côté de San Francisco en 2006, n’a rien sorti depuis et semble avoir arrêté de se produire sur scène. Un effacement progressif, une disparition sans drame ni fracas que sa musique si évanescente paraissait annoncer dès le départ.

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