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Disques

Protomartyr – Ultimate Success Today

« So it’s time to say goodbye… », peut-on entendre sur le ténébreux “Worm in Heaven”, le morceau qui clôture le cinquième album des Américains de Protomartyr. Cette allusion à la fin, qui n’est d’ailleurs pas isolée, renvoie implicitement à la conception même du disque. La volonté de renouer avec l’urgence des débuts, en enregistrant chaque titre comme si c’était le dernier. Dans cette optique, “Ultimate Success Today” pourrait se concevoir comme un message d’adieu. Mais paradoxalement, si le groupe semble assurer ses arrières, il continue, album après album, à regarder vers l’avenir. Car depuis “No Passion All Technique” sorti en 2012, le son de Protomartyr n’a cessé de gagner en intensité, en volume et en assurance. Et ce nouveau cru s’avère être le plus maîtrisé de la bande à Joe Casey.

Le talent d’écriture du chanteur n’est plus à prouver. Au fil des années, il a utilisé sa plume acérée et sensible pour évoquer les sujets brûlants de la vie politique et de la société américaineé. Ici, les textes aux références et sens multiples font écho aux violences policières et à une maladie mystérieuse. Curieuse ou malheureuse coïncidence, puisque le disque sort en pleine pandémie mondiale. En prophète de mauvais augure, ou en porte-parole des victimes des dérives qui gangrènent le pays, Casey donne de son souffle pour animer son propos engagé, dans un mélange de rage et de désespoir.

Pour l’accompagner, le groupe a opté pour une approche expansive et plus expérimentale qu’avant, s’offrant les services de musiciens issus de la scène jazz. On entend ainsi, de manière plus ou moins ponctuelle et subtile, Jemeel Moondoc (saxophone), Izaak Mills (saxo, clarinette) et Fred Lonberg-Holm (violencelle). Ensemble, ces invités apportent une réelle densité à la musique et, de fait, une certaine sensation d’inconfort.

“Ultimate Success Today” n’en est pas moins un disque de Protomartyr, au style immédiatement reconnaissable. Le jeu puissant et insaisissable d’Alex Leonard à la batterie, la basse galopante de Scott Davidson et les déflagrations saturées de Greg Ahee sont toujours présentes. Si l’urgence est toujours de mise, le groupe laisse tout de même plus de temps et d’espace à ses compositions pour se construire, s’octroyant même en fin de parcours une respiration bienvenue, ce “Worm in Heaven” déjà cité.

Sur “Bridge & Crown”, l’orchestration et la tension vont crescendo. Démarrant sur un timide dialogue batterie-basse, le titre se transforme progressivement en un imposant et menaçant grondement, sans jamais exploser. Sur l’ouverture “Day Without End”, le groupe réussi à garder l’intensité du jeu intacte pendant plus de trois minutes. La tension y est telle que l’on s’attend à une détonation à chaque instant, avant que tout ne soit stoppé net. Ailleurs, comme sur “Tranquilizer” ou la dernière partie de “The Aphorist”, l’orage éclate brutalement, créant la surprise, et accélérant par la même occasion le rythme cardiaque de l’auditeur.

Avec “Ultimate Success Today”, œuvre sombre aux allures post-apocalyptiques, Protomartyr livre l’album le plus cohérent et passionnant d’une discographie sans failles. Une jungle sonore d’où l’on ressort essoufflé mais fasciné. Suffisamment pour y replonger encore et encore.

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