Le Black Bass, incontournable dans le paysage des festivals en Gironde, avait décidé de faire de cette dixième édition sa dernière. Pour l’occasion, l’équipe avait eu envie de programmer des groupes issus de chaque édition, afin de fêter comme il se doit cette fin. Car si le rendez-vous manquera assurément, l’événement a une ultime fois proposé de grands concerts, dans des conditions optimales et une ambiance toujours plaisante.
Vendredi 23 août
Avec trois jours de festival, le Black Bass innovait et voyait grand, mais nous n’y avons été présents que les deux derniers soirs, et avons donc loupé une première soirée partagée notamment par les Basques de Capsula et les rockeurs de The Inspector Cluzo. C’est donc le vendredi 23 août que nous commençons notre festival, après un trajet perturbé par les traditionnels ralentissements de circulation pour quitter l’agglomération bordelaise. C’est durant la prestation de We Hate You Please Die que l’on pénètre sur le site, toujours à taille humaine mais avec désormais deux grandes scènes, aux son et lumière impeccables (toujours une marque de fabrique du festival).
Devenu trio, le groupe originaire de Rouen n’a rien perdu de son efficacité sans concession, agrémentant son punk de sons plus noise, avec une tension qui ne se dément pas. Avec un nouvel album imminent (”Chamber Songs”), la formation fait une belle place à ces nouveaux titres dans son set, neveux et toujours accrocheur, avec des titres comme “Stronger Than Ever” ou “Adrenaline” qui pourraient devenir de vrais classiques.
La suite, c’est sur la « grande » scène, historiquement parlant, que ça se passe, avec La Jungle. Duo batterie/guitares + machines originaire de Belgique, le groupe propose une transe rock assez radicale, qui s’aventure parfois dans le kraut, mais qui a quelque chose d’assez fascinant tellement les curseurs (rythme/énergie) sont poussés à fond. Les cinquante minutes, propulsées par un batteur survolté et un guitariste qui ne l’est pas moins, passent finalement assez vite et redonnent pas mal d’énergie.
Le changement est pour le moins radical, à bien des égards, avec le set de Year of No Light. Depuis plus de vingt ans, la formation distille un métal atmosphérique, lourd et puissant à la fois. Si le groupe n’a sorti que quatre albums studio, sa réputation scénique n’est plus à faire et le souvenir de 2015 est encore là. Le sextette a su mettre tout le monde d’accord avec une heure de metal à la lisière du psychédélisme et du post-rock, évitant les écueils des deux genres pour n’en conserver que la puissance et les mélodies. C’était fort, et hypnotique : on termine chamboulés, prêt pour le dernier set de cette soirée.
C’est Slift qui boucle le programme de concerts de ce soir. Si l’honneur est grand pour la formation qui avait marqué les esprits en 2018, ce n’est pas le genre de défi qui impressionne les Toulousains. Le trio a en effet séduit jusqu’aux Etats-Unis avec son rock psyché, et c’est chez Sub Pop qu’est sorti son dernier album en début d’année. “Ilion”, justement, est largement représenté dans la courte setlist – sept titres -, mais comme chaque morceau est généreux en longueur, en solos de guitare et mélodies psyché, on prend une sacrée claque, l’énergie du groupe déborde de partout, avec une fin sur l’épique “The Story That Has Never Been Told”. Bref, une conclusion idéale pour les concerts de ce premier soir, et les bénévoles ont pu faire la fête avec des festivaliers chargés à bloc !
Samedi 24 août
Le temps est toujours clément pour cette ultime soirée du Black Bass festival et un programme encore une fois costaud. Honneur à la Belgique avec The Guru Guru qui ouvre la soirée, avec un set qui échappe bien à toute classification. Il y a d’abord ces mélodies qui oscillent entre post-punk, noise ou math rock, et il y a de l’autre côté la performance de Tom A., son chanteur en pyjama (!), qui joue la musique autant qu’il la chante, survolté à sa manière. Et même si leur dernier disque s’appelle ”Make (Less) Babies”, c’est bien l’amour, ou plutôt un « wall of love » qu’initie la formation originaire de Hasselt, de quoi lancer les deux moitiés de la fosse l’une sur l’autre pour une séance de câlins. Gageons que le groupe aurait été à sa place dans ces effusions !
Belgique encore avec le prochain groupe, It It Anita. On connaît le talent et la puissance des Liégeois, qui comme We Hate You Please Die la veille, est un quatuor devenu trio. Cinq ans après son précédent passage, It It Anita a dégagé la même impression de puissance, avec une setlist parfaitement balancée, riche en bombes explosives (“Crippling Guilt”, “Disgrace”), comme en titres plus louvoyants, “Ode to William Blake” ou “Psychorigid”, qui rappelle que le trio ne fait pas que dans la force brute – même s’il le fait à merveille. Aucun temps mort durant le set de presque une heure, et toujours la conviction qu’It It Anita est un incontournable en concert.
Eux auraient pu être dans l’incapacité de jouer : 1000Mods, formation grecque, a eu la mauvaise surprise de se retrouver sans instruments. Heureusement, dans l’organisation on retrouve plein de musiciens qui ont généreusement prêté leurs guitares, basses et autres pour permettre aux Grecs de se produire. C’était assurément une bonne chose, tant le groupe a confirmé son statut de valeur sûre avec son stoner carré, énergique, généreux aussi, qui entraîne le public dans tout un tas de pogo et slams. Rien à redire !
Changement de scène, changement de style avec nos chouchous venus de l’Yonne, de Sens même : Johnny Mafia. Si leur passage remonte à 2019, ils ne semblent ni avoir vieilli, ni perdu la main pour enchaîner les tubes punk pop, qu’ils viennent de leur dernier album ”2024, Année du Dragon” comme de leur discographie antérieure. Est-il possible de résister à des titres comme “Vomit Candy”, “Rules Bulls Bells”, “Trevor Philippe” ou “TV and Disney” ? Difficile, surtout quand ils sont joués avec une énergie constante, sans jamais se prendre au sérieux ! Peut-être que le groupe méritait quand même une audience encore plus large, mais il se fait tard…
Il est en effet 0h30 quand Mars Red Sky monte sur scène pour clôturer l’aventure du Black Bass Festival, le trio bordelais de stoner ayant eu ce même honneur il y a dix ans. Depuis, il y a eu beaucoup de tournées, de kilomètres au compteur aussi, mais on retrouve toujours cette musique lourde, pesante et planante à la fois, avec pour démarrer le set “Slow Attack” et “Break Even”, issus du dernier album (“Dawn of the Dusk”, 2023). S’il semble que la voix de Julien Pras est légèrement en retrait, le trio n’a pas son pareil pour étirer ses mélodies, sans en perdre l’intensité. En point(s) d’orgue de ce concert tout en maîtrise, on notera la présence d’Helen Ferguson (Queen of the Meadow) sur “Maps of Inferno”, et le final avec le renfort de très nombreux musiciens (notamment de l’organisation, les mêmes qui ont prêté leurs instruments !) pour une version spectaculaire du classique du groupe “Strong Reflection”. Et tant pis si quelques personnes dans le public ont été déroutées par le rythme de la musique de Mars Red Sky, sans doute le moins élevé de toute la soirée. C’était une belle conclusion, qui allait bien au-delà du simple clin d’œil.
C’est donc sur cette prestation que se referme l’histoire du Black Bass, un festival qui a toujours su concilier une esthétique forte et un esprit très convivial, avec le souci de proposer un son et des lumières au top, et une programmation toujours audacieuse. Nous y aurons découvert bien des groupes en live, et pour ça et tout le reste, chapeau bas à toutes celles et tous ceux qui ont œuvré pendant 10 ans sur l’événement : bravo, et merci !