Chasny en auteur-compositeur attentif et guitariste impeccable. Un peu trop sage à notre goût mais qui devrait plaire aux adeptes d’une folk-pop élégante et solaire. Six Organs of Admittance en cure de désintox.
Ben Chasny est un artiste intéressant parce qu’on ne sait jamais ce qu’on va trouver dans ses productions. Folk torturé, kraut psyché, fingerpicking classique ou halluciné, chansons, musique expérimentale ou improvisée. Le champ est large et on sent l’artiste incertain ou du moins cherchant l’instabilité, la nouveauté dans ses pratiques. En bon occultiste, si on devait le définir par une lame de tarot, ce serait sans doute le Pendu. Comme Odin pendu par les pieds à Yggdrasil, en plein sacrifice/acquisition de connaissances. On sent toujours une recherche de vérité, d’authenticité, de quelque chose de singulier ou de caractéristique, bien loin de l’artiste ajoutant un nouveau recueil de ses possibilités aimées et attendues par son public.
On est donc toujours très curieux et un peu circonspects car on ne sera pas forcément au diapason des propositions de Chasny. On avait été très enthousiasmés par le récent et très échevelé “The Veiled Sea”. “Time is Glass”, au contraire, nous parait très, et sans doute trop, sage.
“Time is Glass” est un album très clair, lumineux comme sa pochette, où règne un fingerpicking classieux, un chant éthéré, des mélodies simples et belles. Clarté et simplification donc et où l’effort porte sur le flux. Cela est bel et bon mais laisse un peu indifférent. Ce n’est pas un album facile, au contraire, mais qui cherche l’apaisement, la beauté.
Ce qui nous place dans la catégorie du public punk à chien crado… et nous oblige à tendre l’oreille aux aspérités (absentes si ce n’est dans la volonté de certains titres de laisser quelques scories d’enregistrement live, comme à la fin du dernier titre) et autres bizarreries (entendre coquetteries) de production.
Ainsi sur Slip Away, on s’attarde sur des jeux de détails minimalistes sur l’espace dans un titre très chanson, ou sur Summer Last Rays, on remarque le fingerpicking hispanisant, toujours magnifique, tout en rais de lumières persistants, insistants, perçants aussi, pas toujours doux. Avec en plus, des effets couche sur couche avec harmonium et triturages psychédéliques.
Plus étonnant, Spinning in a River déploie les atours d’un fingerpicking élégant avec un délicat clavier en sourdine et finalement… lacéré de guitares saturées. Ouf, elles sont bien là !
Enfin, Hephaestus est vraiment à part dans le retraitement sonore assez ambitieux, collage dans les graves avec beaucoup d’espace. Ici, Ben travaille dans la matière, contrepoint de ses ambitions d’auteur-compositeur et guitariste chevronné magnifiées dans cet album.
On retrouve alors les aspirations d’expérimentations sonores, la volonté d’ouvrir de nouvelles brèches sensibles dans un psychédélisme de salon ou de home studio. En cela, le lien avec son récent disque de remix par Twig Harper se fait plus ténu. Et pour entrapercevoir ce qui excite et existe à l’état de latence chez Chasny, on encourage l’écoute de cet album assez étonnant. Pour un disque plus charnu, psyché lourd et aventureux, on vous conseille “Jinxed by Being” par Shackleton et Chasny. En somme, le Chasny ombrageux s’explore cette année de manière kaléidoscopique, en sondant ses volontés secrètes ou en se mariant avec ses pairs lointains. Pour sa part solaire et quasi sans fioritures, “Time is Glass” s’impose (voire repose).
Avec l’aide de Johanna D, pas trop balade sur la plage.
“Time is Glass” est sorti en CD, LP et numérique chez Drag City le 26 avril 2024.