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Disques

Edith Frost – In Space

Edith Frost a mis vingt ans pour sortir un nouveau recueil de 12 chansons de « pensive countrified psychedelia » et c’est la meilleure nouvelle de l’année made in USA. Et d’ores et déjà le meilleur LP de 2025 : fermez les listes.

Alors que Nina Stemme, LA soprano wagnérienne suédoise de sa génération tire sa révérence et fait ses adieux à Isolde, Edith Frost est de retour !!! Et on pourrait (devrait ?) s’arrêter là parce que c’est la meilleure nouvelle en provenance des Amériques depuis des années (et pour longtemps hélas…). C’est fou quand on y pense : “In Space” est le 5e album d’Edith Frost en un quasi quart de siècle,  et sorti chez les toujours fidèles de Drag City. La dame est hors du temps, hors circuit court à la indie. In Space, qu’elle a dit.

Et on comprend mieux en lisant la passionnante et passionnée interview de Pierre Lemarchand d’Edith pour Magic rpm : Miss Frost est diagnostiquée, depuis l’an passé, comme atteinte de troubles de l’attention (le TDA avec ou sans H, bien connu des salles de classe, en multiplication exponentielle). D’où une addiction au café (on en connait d’autres) et une procrastination due à la difficulté de s’organiser.

On pourrait s’en contrecarrer mais on l’aime, éperdument, Edith. Depuis une reprise d’André Herman Düne à côté d’un Small Town Boy d’anthologie, circa 2003, et surtout depuis “It’s a Game”, album de sieste solaire et majestueux, qu’on connaît par cœur, gravé pour toujours dans la chair de nos petits cœurs de beurre. “It’s a Game”, c’est notre péché mignon, le plus intime de nos albums favoris, ceux qu’on emportera dans la tombe et dont on n’a plus besoin ni du support physique ni du numérique tant on le connaît par cœur.

Edith avait miraculeusement reparu en plein confinement pour une poignées de titres (“Nothing comes around”), malheureusement exclusivement numériques, un peu comme une bouée de sauvetage, une carte postale de notre mémé favorite. “In Space” est donc le successeur tant attendu de “It’s a Game” et évidemment, outre l’excitation de se trouver en présence de nouveaux titres, on ne peut que comparer avec l’excellence et se retrouver forcément légèrement déçu lors des premières écoutes.

Heureusement, on persiste, inévitablement attiré par cette voix traînante, un peu folk, un peu soul ou au contraire affirmée, rock, sûre de ses moyens, attirée vers les aigus. Joni Mitchell, Jefferson Airplane, feu Roberta Flack mais aussi, on l’a dit, Carole King. Elles sont toutes là, à attiser le feu d’Edith pas Frost du tout pour le coup.

Et puis, on se laisse ensorceler par cette musique du peu, avec des vignettes toute simples en apparence mais diablement habitées et riches. S’il y a une impression générale qui se dégage pour chaque titre, son chant déploie des mélodies autrement plus compliquées qu’il n’y paraît et qui font dériver, voire bifurquer la chanson par sa voix. Edith nous fait voyager.

Idem pour les arrangements, puisque cet album fut enregistré au Loft de Chicago, studio de Wilco (j’arrête là ?) où Mark Greenberg, manager du lieu a accès aux instruments du band le plus glorieux que l’Amérique ait porté depuis un quart de siècle. D’où, là encore, une infinité de détails de production tout à fait charmants et malins avec toujours cette ligne générale qui porte le titre. On n’est pas dans une luxuriance à la Joanna Newsom, autre folkeuse de choix, mais dans le bon instrument choisi qui va éclairer la chanson, que ce soit un clavier bourdon sur “Another Year” ou des harmoniques de guitares éclatantes qui viennent pétiller sur la berceuse-ballade typique de Frost (“Can’t Sleep”).

Si Edith avait dans ses textes l’habitude d’explorer les intimités, on remarque aussi une certaine angoisse, ou du moins une ambiance générale plus sombre, qui déborde les sentiments ou du moins les contamine. C’est “Something About the War” ou plus ouvertement “The Bastards”, chanson quasi politique en mode mineur.

« So sorry that it’s been forever and a day
I couldn’t think of much of anything to say
What’s there to talk about with everything that’s changed? (Everything that’s changed)
Our funny world has gone away
We let the bastards get in our way
There’s nothing left to count on, nothing is the same (Nothing is the same)
Our funny world has gone away
I guess we couldn’t convince it to stay »

(The Bastards)

On aime aussi le grand écart entre un titre sombre comme le lynchien en diable In Space et le shot citron-gingembre, quasi bouseux à la CSNY et, en même temps, psyché à la Surealistic Pillow, Little Sign.

À l’heure de choisir nos titres préférés, ceux que l’on chante tout le temps, y compris dans les rayons du supermarché, on place Hold On assez haut, avec ces guitares un peu twang, ces cordes qui débarquent en sourdine avec une mandoline peut-être (ou une harpe japonaise).

À la maison, on se bat au sujet de notre deuxième préf. et Madame revendique Time To Bloom. Pour le faux air de Cat Power peut-être ? Ou des gratouillis de percu dans le fond ? Ou du bourdon mélodique boiteux à la Leierman de Schubert ?

Je milite pour la déchirante et pourtant lumineuse, What a drag ou encore la finale, I Still Love you, parce que déclaration d’amour éperdue et… vaine, bouteille à la mer pleine d’espoir. L’amour d’Edith Frost est cosmique et donc dépasse nos misérables petites vies humaines.

I still love you X2
I still feel the same
No nothing’s changed
Now
That it’s over

(…)

I still love you X2
I still call your name
I’ll never change
I’ll never
I’ll never
Get over you

(…)

Babe I’m  damned
If I 
Can leave it all behind

(I Still Love You)

I Still Love You est une Liebestod et avec ce titre, et cet album hors du temps et de l’espace, à placer juste à côté de “It’s a Game”, Edith réédite l’exploit de nous faire fondre de bonheur et de nous catapulter vers l’infini et au-delà.

Avec l’aide de Johanna D., merveille merveille.

In Space” est sorti en LP et numérique le 28 février 2025 chez Drag City.

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