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Disques

Mendelson – Mendelson

Une langue atone, morte le plus souvent, perdue au milieu de tant de références littéraires, se mariant si mal avec la rythmique du rock et ses recettes formelles. Une langue qui s’adapte mal aux contraintes de la chanson et qui, au contraire, aurait besoin de temps et d’espace, pour saisir et accompagner l’auditeur de sa (superbe) complexité et de ses allitérations. Moins immédiate, moins accrocheuse mais aussi plus profonde, brûlant de mille feux – il est des mots qui font sens et perforent ceux à qui ils sont adressés -, déroulant un récit abrasif. Une langue qui, surtout, dit l’absence au monde comme à soi-même. Regarde un peu la France, chantait Christophe Miossec.

Combien de disques, avant ce triple album de Mendelson, ont su produire, en français, un tel effet dévastateur sur ses auditeurs ? Combien ont su conjuguer une telle exigence, nue et sans filet, marier une telle puissance littéraire  – au delà du raisonnable -, et une expression musicale qui jamais ne la dessert mais au contraire l’appuie (et appuie toujours là où les mots font mal) ? Un alliage à haut risque, que seule l’équipe de Pascal Bouaziz semble être capable de maîtriser. A sa manière, Mendelson invente un post rock que lui seul sait jouer.

Il y eut « #3 » de Diabologum en 1996 et « L’Imprudence » d’Alain Bashung en 2001, figure tutélaire que Pascal Bouaziz cite dans l’interview qu’il nous a accordée il y a quelques jours. Rares déflagrations dans un paysage déserté par les mots. Des disques faits de bruits entêtants, d’absolue noirceur, à l’ambition littéraire immense. Seuls disques qui en deux décennies soutiennent la comparaison avec le triple album des franciliens. Libéré des formats qui en réduiraient le champ d’action (le temps d’élaboration de l’oeuvre en est l’un des signes, plusieurs années et un enregistrement au long cours), Mendelson malaxe ici toutes sortes de matières musicales (voix doublées ou réverbérées, instruments qui semblent s’accorder, boîtes à rythmes,…) et pousse ses chansons aux limites de ce qu’elles peuvent porter.

Chronique en trois parties : Disque 1, Disque 2 et Disque 3 

Pochette

Disque 1 

Il faut du courage pour sortir un disque comme « Mendelson », ce cinquième album de ce groupe si atypique qu’est Mendelson. Du courage, il en faut aussi pour l’auditeur car il faut s’immerger dans ce triple album, dans ce fatras de sons et de textes convoquant des dragons noirs, une immersion dans la psyché de personnages qu’on n’aimerait pas (trop) fréquenter. Ce qu’on y trouve n’est pas forcément joli-joli mais il y a quelque chose de merveilleux à rendre beau cette raclure des bas-fonds de l’âme, à en faire du Dostoïevski musical.

Disons-le de suite, entrer dans « Mendelson » est éprouvant. Peu arriveront sans doute à s’y retrouver mais ceux qui y parviendront feront une expérience intime profonde. Longs textes à la fois diserts et contrôlés, minimalisme formel et improvisation, richesse des détails et de la production dédiée au façonnement du son : on ne rigole pas vraiment à l’écoute de cet album.

« La Force Quotidienne du Mal », en ouverture, reprend les choses un peu là où on les avait laissées avec « 1983 (Barbara) « . Si l’épopée nostalgique, voyage homérique d’une enfance en banlieue, nous faisait pleurer à chaudes larmes, ici, on se prend un vent glacé en pleine tronche et on plonge directement dans le Cocyte. Stridences électroniques, voix d’outre-tombe qui égrène la présence au monde du mal : peut-on vraiment se remettre d’une chanson comme ça ? Peut-on vraiment écouter ce genre de truc-là ? À vrai dire, on n’a pas vu pareille geste depuis la plongée de Scott Walker dans sa dernière trilogie. On apprécie l’économie de la musique, tout en violence rentrée, contenue comme les coups de boutoir de la batterie, ou comme les irruptions de guitares bruitistes (Pierre-Yves Louis en métallurgiste fondeur). Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ? Pourtant, sur la fin, guère gaie, se présente une éclaircie musicale, le beau clavier de Charlie O, qui, comme une trouée lumineuse dans un ciel plombé, vient ramener un peu d’air frais dans tout cela.

Aux antipodes du titre et du disque, on trouve : « Pas d’autre rêve », peut-être le seul dernier semblant de format chanson qui habite l’album, avec un palimpseste de refrain qui donne un tour léger au titre, en forme de remède musical. S’agit-il enfin de l’émétique à la mélancolie mendelsonnienne qu’on attendait depuis cinq albums ? Peut-être est-ce d’ailleurs le seul texte vraiment autobiographique de Pascal Bouaziz et on le gardera longtemps en tête pour se protéger des coups du monde, voire de certains coups au bas-ventre reçus en traître à l’écoute de ce triple album.

« Il n’y pas d’autre rêves. Il n’y pas d’autre monde au réveil. Pas d’autre histoire à raconter. Que celle de vivre et de continuer. « 

Dépressifs de tous les pays, réjouissez-vous : le nouveau Mendelson est arrivé.

C’est aussi le seul titre qu’on puisse réellement chanter car finalement les titres de Mendelson n’appartiennent qu’à Mendelson, et il est difficile d’imaginer quelqu’un reprenant les textes de Bouaziz, à part peut-être Michel Cloup, lointain cousin sudiste, dont le beau disque gris clair « Notre Histoire » accompagne en joli camaïeu les gris sombres de « Mendelson ».

Entre ces deux titres, le sprechengesang de Pascal Bouaziz fait des merveilles. Sur « D’un coup » : « Je ne sais pourquoi-je te supportais mieux- les jours ou je te-mentais. Les mensonges-ce sont des sortes de souhaits ». On se coule dans ces flots de mots malsains, portés par les vagues de guitares presque surf, entre une batterie organique et synthétique (les batteurs Joasson et Pirès, fabuleux) jusqu’à la tempête finale, l’emballement rythmique, le déchaînement des guitares.

C’est raide quelquefois (« Une seconde vie », écho de Lacanau) et il faut savoir accepter le rythme particulier de la diction de Bouaziz pour comprendre la mélodie qui habite ce qu’on a du mal à appeler des « chansons » mais qui le sont pourtant. Il faut aussi, peut-être, penser à la méthode de conception/d’enregistrement de ce disque (textes et boîtes à rythmes comme base puis improvisation collective) pour pouvoir l’écouter : il faut se mettre en position de réception, d’écoute active comme on dit dans les cercles des fans de musique improvisée.

Ainsi s’engouffrer dans le tunnel de « Une seconde vie » n’est pas aisé. Vous qui entrerez dans ce titre dantesque, laissez toute espérance. On est parfois renversé par le flot des mots doublés par les vagues ondulantes et à défaut d’être accompagné dans cette descente aux enfers par un sympathique Virgile pop, on ne peut se raccrocher qu’à quelques éléments comme cette double batterie terrible, martiale et menaçante, presque métal. Dieu qu’on aimerait voir ça en concert !

D’ailleurs, les quelques bouts de vidéo qui ont émaillé l’imminence de la sortie de l’album nous ont mis l’eau à la bouche : on adorerait visionner les séances de cet enregistrement épique et on s’étonne presque que ce monstre d’album ne soit pas accompagné, encore, d’un DVD !

 Enfin, on retrouve des morceaux fabuleux, vraiment inouïs dans le champ de la musique de France. Ces jeux de voix qui vont et viennent dans le mix sur un squelette de musique hantée, de paysages mortifères qui rappellent l’énorme « Ghost Tropic » de Songs :Ohia mais chanté en français. Et quel chant ! 

Citons, entre autres perles noires, sur l’explosif « Avant La fin » :

« Vivre l’affront de la vie. Réapprendre à se taire. Le monde qui s’éparpille comme des tessons de verre.  » ou encore « Je sais que je dois disparaître. Avec tout ce que je porte en moi de mal. Comme une peste. « .

On aimerait que cette peste-là contamine (tout) le monde. Enfin. Ya pas d’autre histoire à raconter.

 

Guillaume Delcourt

Avec l’aide de celle qui fait partie du peuple de Mendelson, Johanna D.

 

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