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Concerts

Swans et James Blackshaw à Strand, Stockholm, le dimanche 8 mai 2011

James Blackshaw et ses douze cordes peinent à faire venir le public de Swans jusqu’à lui : cinq bons mètres le séparent de la foule. Pourtant le son est doux et enjôleur, bien différent de ce que produira Swans une heure plus tard. James, l’air las (peut-être dû à un son gras ne seyant pas du tout à sa musique) trace avec ses longs ongles droits des entrelacs de notes cristallines, comme un raga folk, étirant des compositions jamais démonstratives et qui emportent l’auditeur assez facilement dans de douces rêveries. On pense à John Fahey, Robbie Basho, Bert Jansch ou, plus simplement au Jimmy Page de Led Zeppelin III. Sur la fin de son set, le rythme s’emballe, montrant un beau jeu de la main droite, pendant que son pied droit tournicote nonchalamment. Pépère mais diablement beau et efficace.
Le maître de céans, un peu tendu, monte sur scène pour nous annoncer la venue des Swans dans un quart d’heure et nous prie de ne pas prendre de photos avec flash et de ne pas filmer le concert (ce qui sera, bien entendu, peu respecté).

James Blackshaw

Une corne de brume retentit… très fort. Nous avons l’impression de reprendre le concert des Masters Musicians of Bukkake là où nous l’avions laissé.

Grossière erreur. Le facétieux joueur de pedal steel guitar, en costume, monte rapidement sur scène pour mettre en boucle un accord assourdissant, puis quitte la scène. Quelques instants plus tard, le batteur monte sur scène pour jouer debout des cymbales. Le pedal steel remonte sur scène, enlève sa veste et se met, avec un rictus affreux, à gratter des accords qui déchirent littéralement l’espace sonore. D’ailleurs, je n’avais jamais entendu cet instrument sonner de cette manière. Un percussionniste, torse nu et chevelure léonine, cogne sur un ensemble de chimes. J’ai l’impression que le jour du Jugement Dernier est arrivé et c’est à Stockholm. Maintenant. À partir de cet instant, je sais que je vais ressortir sourd. C’est le moment que choisit le bassiste pour entrer en scène et triturer sa basse (il s’agit plutôt de cogner et gratouiller sur le chevalet que de jouer), faisant vibrer, l’air, le corps, la foule. J’ai oublié mes bouchons et j’ai l’impression que Sunn O))) à côté, c’est des pisseuses. On aurait dû s’en douter avec les autocollants Sunn collés sur les têtes d’amplis. Le dernier guitariste moustachu arrive, mais je ne perçois plus la différence, occupé à enfourner le plus de doigts possibles dans mes oreilles et me demandant si je vais pouvoir faire un gribouillage sans perdre toutes mes facultés auditives. Gira s’amène enfin sur scène, stetson sur la tête, et balance les accords de « No Words/No Thoughts » qui achèvent d’augmenter le volume au-delà du raisonnable et nous transportent dans l’univers apocalyptique de Swans où âmes et corps seront jugés. À l’heure où je tape ces lignes, je ne suis pas sûr d’entendre correctement mon clavier…
Les deux heures et demie (oui… deux heures et demie !) seront à l’avenant : époustouflantes, noise, épiques, cathartiques. Gira, en chemise noire et raie sur le côté proprette, incarne un certain style américain et si certains (suivez mon regard), le choisissent pour titre, le leader de Swans chante et vit l’Apocalypse comme une profession de foi rock n’roll. Bras en croix, génuflexion : tout le cirque christique y passe. Il se mettra notamment à hurler lors d’un titre : « Jesus. Come down ! NOW!  » et je peux vous assurer que personne dans l’assistance n’a moufté et qu’on a bien cru que notre heure était proche. La régénération des Swans est vraiment effective et d’autres, ayant perdu (depuis longtemps) leur jeunesse sonique, feraient bien d’en prendre de la graine. Swans est bien vivant et ils sont puissants. Et méchants.
Si les influences premières restent un blues primitif (deux accords, quelquefois trois), l’instrumentation porte les compositions vers une sorte de transe gospel noise nihiliste. Le batteur a à sa disposition une grosse caisse qu’il utilise en tom basse et le bassiste produit plus qu’un groove, une pulsation maladive, un souffle divin sur les corps des auditeurs, pauvres pécheurs. Les Swans derrière Gira sont comme un(e) Birthday Party brutal, plus sauvage que sexy.

Swans
Ce n’est qu’après une heure de récurage d’oreilles et d’âmes, que nous nous éloignons vers le fond de la salle pour constater que le son est, malgré sa puissance et sa démesure, incroyablement bon et clair. Je peux enfin, débarrassé du souffle de la basse, percevoir les apports de l’aigrelet moustachu soliste et découvrir que les chimes sont plus que de simples carillons dans le lointain de la fureur sonore. Cela dit, la magie opère moins et seuls les brefs et récurrents passages de quelques dévots, les yeux fermés, tournant dans la salle, nous rappellent le rituel qui se déroule à quelques mètres dans la chambre de sudation des premiers rangs.

Comme on pouvait s’y attendre, les Swans interprètent, sauf erreur et/ou acouphènes, tout leur dernier album « My father will guide me up a rope to the sky » et les voisins vinrent bien se plaindre du volume sonore.

On quitte Strand, vieillis, le corps engourdi, heureux que le Rédempteur ait reporté sa visite mais en étant sûrs que, lorsqu’il viendra, ça fera mal aux oreilles.

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