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Interviews

Moodoïd – Interview

C’est quelques heures avant un concert haut en couleur au lieu unique dans le cadre du festival Assis ! Debout ! Couché ! que je me suis entretenu avec Pablo Padovani de Moodoïd. Avec pour seule carte de visite un EP sorti en fin d’année dernière (un double single est paru depuis), la formation parisienne s’est déjà faite un nom avec sa pop psychédélique bariolée, transcontinentale mais chantée en français. Les Versaillais de Phoenix eux-mêmes sont tombés sous le charme du groupe en l’invitant à ouvrir pour plusieurs dates de leur dernière tournée. Pablo Padovani nous en dit plus sur cette ascension inespérée en développant autour de mots-clés que nous lui soumettons et qui dessinent peu à peu l’univers unique dans lequel évolue Moodoïd.

Moodoïd

Kevin Parker (leader de Tame Impala).

J’ai eu la chance de travailler avec lui sur notre premier EP. J’ai découvert Kevin Parker par hasard à un concert de Tame Impala à Lausanne en 2010. C’était quand je vivais en Suisse, où j’ai écrit « Je suis la Montagne » et toutes mes chansons. J’avais vu sur le flyer que Tame Impala était inspiré de Robert Wyatt, qui est mon idole. En fait, ça n’avait pas vraiment de rapport avec Wyatt mais j’étais très content de découvrir ce groupe. En première partie, il y avait le premier groupe de Melody Prochet, qui a ensuite monté Melody’s Echo Chamber, avec qui je joue maintenant. Quand je suis arrivé à Paris, un an après, j’ai entendu dire que Kevin y vivait aussi mais je n’avais aucun moyen de le rencontrer. Et un jour, tout à fait par hasard, j’ai rencontré Melody à la sortie d’un concert. Elle a écouté mes chansons et m’a contacté parce qu’elle recherchait un musicien pour son groupe, dont le disque était justement produit par Kevin Parker. Via cette relation, j’ai pu rencontrer Kevin et lui parler du premier EP que j’étais en train d’enregistrer. Je n’avais personne pour le mixer donc je lui ai proposé. A la base, je n’avais pas du tout prévu ça. J’ai essayé de le faire mixer par plein de gens mais je ne trouvais rien qui me convenait…

Rock Progressif

Ce qui est marrant c’est que le nouveau batteur de Tame Impala est Julien Barbagallo, le batteur d’Aquaserge, qui est un des seuls groupes actuels de rock progressif français. Aquaserge, ce sont mes idoles et mes meilleurs amis. J’ai grandi avec une famille de musiciens qui a une dizaine d’années de plus que moi. Depuis que je suis ado, j’écoute beaucoup de rock progressif, de chansons hyper longues. Il y a un festival assez incroyable à Albi dans le sud-ouest, « Rock in Opposition ». Je crois que c’est un des seuls festivals où tu peux voir du rock progressif en France. Il n’y a que des vieux qui écoutent ça… Je ne suis pas du tout fan de Pink Floyd même s’il y a certains albums que je trouve incroyables, par contre, je suis un vrai fan de Gong. Et j’aime beaucoup toute la famille Soft Machine, Robert Wyatt, David Allen et Kevin Ayers. Mon idée pour Moodoïd, c’était de faire un groupe de pop, mais avec cette liberté qu’il y a dans la musique progressive, une liberté de longueur et de forme qui s’éloigne du modèle couplet-refrain. L’idée, c’était d’essayer de garder les caractéristiques de la pop mais en enlevant certains codes, par exemple qu’un morceau dure forcément 3 minutes 20, qu’il soit en quatre temps et que le rythme soit binaire. Disons que dans ma manière d’arranger la chanson pop, il n’y a pas du tout de stéréotype. Je me laisse totalement libre d’emmener les chansons vers des formes variées.

Phoenix

J’ai une histoire moins sentimentale avec eux. Je ne suis pas fan de Phoenix comme j’ai pu être fan de Tame Impala avant de travailler avec Kevin Parker. J’ai découvert ce groupe assez récemment. J’en avais toujours entendu parler. Je savais juste que le chanteur était le copain de Sofia Coppola, que c’était la french touch, etc. Et assez récemment, il y a un an et quelque, j’ai écouté ce disque, « Alphabetical », et ça a été pour moi un énorme coup de cœur, dans le traitement du son, dans les compositions. C’est un sacré mélange de R’n’B et de pop. C’est assez ingénieux. Je suis aussi hyper attiré par les musiques actuelles, par les choses très modernes, et je trouve que ce disque est très bon pour ça. J’ai découvert Phoenix sur scène en Suède quand on a tourné avec eux avec Melody’s Echo Chamber et ça a un peu été la claque. C’est un très bon groupe de live, ils ont un son très beau, tout est parfait. Du coup, ça a été assez fou quand ils m’ont proposé de faire leurs premières parties avec Moodoïd. Tout est allé très vite pour nous. On a sorti cet EP en septembre 2013 et on ne s’attendait à rien. On n’avait pas du tout prévu le coup. On pensait juste qu’on allait sortir l’EP et en faire la promo mais ça a été déclencheur d’énormément de choses au niveau des médias, etc. Ça nous a permis de pouvoir faire le disque qu’on est en train de faire, de pouvoir travailler dans de bonnes conditions, de faire des concerts, des tournées.

Moodoïd

Bollywood

Pendant deux ans, j’ai vécu dans le 20ème arrondissement et, en bas de chez moi, il y avait une épicerie indienne dans laquelle ils passaient 24h/24h des films de Bollywood. Quand je fêtais mon anniversaire, les copains qui n’avaient pas acheté de cadeaux passaient à l’épicerie et m’achetaient des dvd. Du coup, je me suis retrouvé avec quelques films. J’ai aussi découvert beaucoup de publicités indiennes des années 70 via YouTube, des pubs pour Coca Cola assez incroyables notamment. C’est quelque chose qui m’a toujours énormément plu. C’est ça qui m’a donné envie de faire un clip Bollywood. Et c’est toujours un de mes fantasmes absolus d’aller à Bollywood pour faire un clip, avec un vrai réalisateur indien. Je trouve ça fascinant. Même les choses qui sortent actuellement, avec toutes les chorégraphies, j’adore ça. Et en l’occurrence, pour « De Folie Pure », quand on a fait le clip, j’avais envie de faire passer un message. Faire une sorte de parodie du regard occidental sur la culture exotique et orientale. Parce qu’en ce moment, il y a une sorte de phénomène de mode où tous les groupes utilisent l’exotisme, alors que c’est souvent hors contexte. C’est souvent juste pour symboliser une sorte d’image paradisiaque de l’Asie… Quand je faisais écouter « De Folie Pure » une première fois à des amis, on me disait souvent : « c’est marrant, ça fait un peu chinois ». D’autres me disaient : « ça fait un peu africain ». C’est curieux parce que j’utilise beaucoup d’instruments turcs et les gens vont penser que ce sont des instruments chinois. Donc tout se mélange et, dans le clip, j’ai un peu voulu montrer ça : un regard français sur quelque chose d’imaginé, comment est l’Asie vue par un Parisien.

Jazz

Dès mes 4 ans, j’ai passé beaucoup de temps backstage lors de concerts de jazz avec mon père (ndlr. le saxophoniste Jean-Marc Padovani). Et je me faisais réveiller tous les matins par des disques de jazz à fond. Donc le jazz m’est très familier. Quand j’étais petit, mon père faisait des interviews et j’étais à côté. Et quand j’entendais le son d’un sax à la radio, par exemple, je pouvais te dire exactement quel musicien jouait. Bien sûr, maintenant j’ai tout oublié mais à l’époque, c’était comme ça. J’aime beaucoup le jazz mais dans ma manière de jouer, de penser la musique, je ne suis pas du tout un jazzman même si cette musique m’inspire. Ce serait plutôt la philosophie du jazz que j’ai gardée. A partir de mes huit ans, j’ai fait du xylophone et de la batterie dans une école de musique dans le Lot. J’ai arrêté vers 14 ans et j’ai appris tout seul à faire de la guitare pour faire mes chansons. Plus tard, j’ai voulu faire du cinéma. J’ai fait un lycée puis une école de cinéma. Mais pendant tout ce temps-là, je n’ai jamais arrêté de faire de la musique en parallèle. Depuis que j’ai 15 ans, il ne s’est jamais passé un mois sans que je fasse de la scène. J’ai toujours eu besoin d’écrire des chansons, de faire des spectacles parce que j’aime bien ça, me déguiser, etc. Je n’ai jamais abandonné le cinéma pour autant. Encore maintenant, je réalise les clips pour Moodoïd et pour d’autres groupes. April March & Aquaserge, Bot’ox, Garçon d’Argent ou Lafayette, par exemple (à voir sur pablopadovani.com).

Laura Palmer

Je pense que parmi les gens de ma génération et de celle d’avant, il y a beaucoup de fans de « Twin Peaks ». Je suis amoureux de David Lynch depuis que je suis ado. Je crois que j’ai tout vu et que j’ai tous les films, tous les bonus. Et « Twin Peaks », c’est vraiment une de mes choses préférées de David Lynch. Je suis aussi tombé amoureux de Julee Cruise qui faisait les musiques bien sûr. Et l’année dernière, il fallait qu’on fasse une reprise. Pour moi, Julee Cruise, c’est un peu la perfection au niveau du son et du mixage. Ce truc faux jazz, plastique, c’est vraiment des sonorités sur lesquelles j’ai envie de travailler. Faire cette reprise, c’était l’occasion pour moi de décortiquer les arrangements, de refaire les choses à ma façon. On l’a sorti au mois de janvier, après l’EP. Ça a été très vite fait. Un jour pour l’enregistrement, un jour pour le mixage, parce que notre label Entreprise sortait une petite compile. J’avais un projet de clip pour cette reprise. Je voulais tourner un nouvel épisode de « Twin Peaks » qui lancerait une fausse nouvelle saison avec comme B.O. la reprise en français, mais on n’a pas pu le faire.

Moodoïd

Français

Depuis que je suis ado, j’ai toujours voulu faire les deux. Bien sûr, je chantais en anglais parce que je pense que pendant longtemps c’était presque interdit de chanter en français. Mais je faisais aussi des chansons hyper décalées en français parce que j’étais très fans d’un groupe de pop de Toulouse, Hyperclean, qui chantait en français. Quand j’ai créé Moodoïd, j’avais des chansons en anglais et d’autres en français. Et quand j’ai commencé à travailler avec Entreprise, le label était en train de se créer et ils m’ont dit qu’ils aimeraient faire un EP avec moi, mais avec des chansons exclusivement en français. On a donc mis ces chansons plus d’autres en anglais que j’ai réécrites. Mais je ne m’interdis rien, je n’ai pas non plus la volonté d’être « le » groupe de pop française. C’est juste que je chante dans ma langue natale parce que je trouve ça joli, que je suis beaucoup plus à l’aise et que je trouve ça plus chantant. J’ai aussi l’impression que c’est un terrain où il y a encore tout à faire. Et puis, j’ai un très mauvais accent anglais ! Il y a eu de fausses idées avec la langue française. Beaucoup de groupes se sont dit : « on va chanter en anglais comme ça on va être connus dans le monde entier ». Mais je pense que ça fait royalement chier les Anglais d’entendre un groupe français qui fait de la musique anglaise en anglais alors qu’eux-mêmes ont des groupes anglais qui le font hyper bien. Ca n’a aucun intérêt, à part si tu es un groupe français anglophone avec une démarche incroyable. Ça existe aussi, comme par exemple Phoenix ou Le Vasco actuellement… Quand j’ai commencé à écrire en français, ce que je redoutais, comme la plupart des gens, c’est que ça sonne chanson française. Je ne cherchais pas à faire de la poésie. J’adore des artistes qui font de la poésie en français. Gainsbourg est génial, peut-être même que Noir Désir a fait des trucs politiques et que ça marche… C’est juste que moi, je voulais créer des images. J’écris toujours les mélodies en premier puis je mets mes textes dessus pour qu’ils adoptent la forme et la fluidité de mes mélodies. C’est un rapport qui est hyper anglo-saxon. Les Beatles, par exemple, faisaient ça. Ça s’entend que leurs parties de chant sont hyper travaillées. Ils ont des mélodies incroyables. Souvent, dans la chanson française, j’ai l’impression que les gens écrivent des textes et qu’ils les chantent ensuite sur des instrumentaux. On utilise beaucoup plus le français comme une langue parlée, une langue récitée, une langue qui exprime des choses. Or, quand j’écoute de la musique en anglais par exemple, je ne comprends pas les textes, et c’est ça que j’adore ! Du coup, j’ai envie qu’un Anglais puisse écouter Moodoïd et se dire : « c’est chouette, je ne comprends rien mais je m’en moque, et en même temps, je devine ce qu’il raconte ». Mais je pense que certaines personnes vont dire que mes textes sont nuls, qu’ils ne parlent que de choses pour les enfants. C’est sûr, c’est très contemplatif. Par exemple, mes histoires sont souvent en rapport avec la nature et je parle beaucoup des éléments. J’écris des chansons sur la montagne, sur l’eau, sur le feu, des choses comme ça. C’est vrai que ce n’est pas très politique…

Moodoïd

Je finissais mes études. J’étais en stage en Suisse pour travailler sur un film. Et j’étais tout seul là-bas donc j’ai emmené ma guitare. Et j’ai commencé à rentrer dans cette espèce de truc qui m’arrive quand je suis seul, qui n’est pas vraiment de la tristesse mais une sorte de mélancolie. Tout à coup, tu te mets à ressentir plein de trucs par rapport à une histoire d’amour, par exemple. Tu te mets à avoir des émotions et c’est via ces émotions-là que j’ai écrit mes chansons. Ce contexte était assez nouveau. C’était la première fois que j’écrivais des chansons en pensant simplement : « il faut que je dise un truc et je vais le dire avec ma guitare ». Alors qu’avant, je me disais plutôt : « tiens, je vais faire une chanson rock ou je vais faire une chanson marrante dans tel style ». Là, c’était vraiment une autre manière de faire pour moi. Je voulais donc que le groupe s’appelle « les émotions bizarres, étranges ». Et j’utilise toujours le suffixe « oïde » pour dire quelque chose de bizarre. Tous les mots avec « oïde » sont bizarres, des noms de maladies, des planètes, etc. Donc Moodoïd, c’est ça : les émotions bizarres, en un seul mot, avec le mot anglais « mood » (ndlr. « humeur » en français). Moodoïd, c’est donc un mot reconstitué et inventé. Et je l’ai aussi choisi parce que je le trouvais très graphique, très simple.

Album

L’album sera justement en rapport avec les trois premières lettres du nom du groupe. Avec ce truc imprononçable, entre le « mo » et le « mou ». C’est un album qui se passera dans une planète molle. L’esprit dans lequel j’ai fait l’EP, c’était qu’il y avait quatre morceaux pour convaincre. C’est un peu comme quand on démarre une fusée. C’est les dix secondes pendant lesquelles tu la démarres. Et maintenant que la fusée est décollée, le disque, c’est l’étape où la fusée va se poser dans un des paysages. Donc ce premier paysage, c’est le monde mou, une planète où tout est mou et où il n’y a que luxure, gourmandise et sexe. Mais ça s’écrit « möö », comme « Moodoïd ». Normalement, si je ne change pas d’avis d’ici là, ce sera le nom de l’album : « Le Monde Möö ». J’ai choisi de travailler avec quelqu’un que j’admire beaucoup qui s’appelle Nicolas Vernhes et qui est un producteur français qui est basé à New-York depuis vingt ans, qui a produit et mixé plusieurs disques de Dirty Projectors, de Deerhunter et d’Animal Collective notamment. C’est un mec très chouette. Je suis rentré de New-York il y a quatre jours. Je faisais le mixage là-bas. Le disque est déjà enregistré, mixé et là on écoute, on fait les retouches. Je pense qu’on a encore un peu de marge pour fignoler parce que, comme je le disais tout à l’heure, tout est allé très vite. En septembre dernier, on a sorti l’EP et on nous a tout de suite dit qu’il fallait vite faire un disque. Un premier single sortira au mois de juin. Le disque sortira en septembre. J’espère qu’il vous surprendra et que vous aimerez !

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