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April March : « Travailler avec d’autres personnes, c’est beaucoup plus amusant »

Musicienne à la carrière toujours surprenante et à la discographie aussi imprévisible que séduisante, l’Américaine francophile Elinor Blake alias April March publiait en mai dernier “April March Meets Staplin”, enregistré avec le duo normand composé de Norman Langolff (fils de Franck, qui collabora notamment avec Gainsbourg) et Arno van Colen (leader des trop méconnus Steeple Remove) ainsi que le batteur très demandé Toby Dammit. Un disque bilingue où sa voix vaporeuse se mesure à des mélodies sinueuses ou plus directes et à de riches arrangements entre musique de film, rock psychédélique, pop sixties et library music. Nous l’avons rencontrée en mai dernier et il était donc plus que temps de publier cette interview.

Tu es aussi connue comme dessinatrice, notamment dans le cinéma d’animation. La musique est-elle arrivée dans ta vie en même temps ?
April March : J’ai commencé à travailler sur des dessins animés et j’ai formé mon premier groupe peu après. En étant animatrice, j’avais l’habitude de jouer des rôles et je m’en suis servi dans ma façon de chanter. De manière générale, dans ce métier, tu dois étudier beaucoup de films, et ça s’est retrouvé dans ma musique. Sinon, j’ai commencé à chanter enfant, avec ma famille. Mon père avait un groupe vocal, treize hommes chantant en harmonie et a capella. On chantait donc vraiment tout le temps.

Tu as commencé ton premier trio féminin, The Pussywillows, vers 1987. Quelles étaient tes références à l’époque ? Des groupes des sixties, ou des choses plus contemporaines de l’indie pop britannique et américaine ?
Oui, à l’époque, des groupes anglais de filles comme the Delmonas, devenus Thee Headcoatees, avaient un peu la même approche. Ou les Angry Samoans dans le punk californien [venus du hardcore, ils ont adopté un style plus garage 60’s dans les années 80, NDLR]. Nous étions trois amies basés au départ à New York où il y avait d’autres formations de ce genre. Nous étions aussi très influencées par les girl groups comme les Ronettes, bien sûr. J’ai d’ailleurs chanté et enregistré avec Ronnie Spector au début de ma carrière musicale.

Quand as-tu eu l’idée de te lancer en solo ?
C’est quand j’ai décidé de chanter en français et d’enregistrer des reprises de Serge Gainsbourg ! Personne ne voulait me suivre sur ce terrain. J’avais déjà essayé de convaincre les autres Pussywillows d’écrire des chansons en français mais elles ne voulaient pas. Pour moi ça me semblait naturel, et pourtant ce sont des traditions assez différentes car la France n’a pas trop de groupes vocaux comme les Etats-Unis ont pu en avoir. C’est Mehdi Zannad qui m’avait expliqué ça. J’ai donc dû ajouter des chœurs aux chansons de Gainsbourg.

Pourquoi voulais-tu chanter en français ?
Ma mère parlait la langue, et c’était quelque chose de normal pour moi d’écouter des disques français, je baignais là-dedans. Mais ce n’était pas le cas de mes amies, qui trouvaient ça très étrange ! Moi j’étais fascinée par le Mont Saint-Michel… Et j’adorais les chanteurs français, je trouvais qu’ils chantaient de façon très « naturelle » (en français). C’était un style différent de ce à quoi j’étais habituée, et j’aimais beaucoup ça.

Sur tes disques, tu collabores souvent avec d’autres musiciens, tu écris rarement tout toi-même. Est-ce par choix ou par nécessité ?
Un peu des deux. Je ne suis pas une musicienne suffisamment compétente pour jouer moi-même sur mes disques, même si je pratique le violon. J’ai passé beaucoup de temps à étudier et à m’entraîner au dessin, et il ne m’en restait plus beaucoup pour la guitare… Et puis j’aime travailler avec d’autres personnes, faire partie d’une équipe, plutôt que de tout faire moi-même. C’est beaucoup plus amusant. Contrairement à beaucoup de chanteuses des années 60, au Etats-Unis comme en France, j’écris moi-même les paroles et j’ai des idées pour la production, car je suis ma propre productrice. Donc dans ces collaborations, je traduis beaucoup de mes idées par les sons. En fait, ça dépend des cas. J’arrive parfois dans un univers musical déjà bien défini, créé par une personne que j’admire, comme Staplin récemment. Là, je n’ai pas besoin de leur dire ce que j’aimerais, de donner des directions. En revanche, mon premier disque “Chick Habit”, je l’ai produit et arrangé moi-même. Je savais vraiment ce que je voulais, faire un disque à la façon des yéyés en France.

Tu chantais déjà sur “Celluloid”, l’un des morceaux de l’album “Neon Shades” de Staplin sorti en 2020. Comment s’est faite la rencontre avec ce duo normand formé de Norman Langolff et Arno Van Colen ?
Thomas Chamois, qui sort le nouveau disque sur son label Velvetica, s’occupait dans les années 90 de Tricatel chez qui j’étais signée. On se connaît donc très bien. Quand il a commencé à travailler avec Staplin, il s’est dit que ça pourrait bien coller entre nous. Et il avait un studio où nous pouvions enregistrer.

Le style de ce disque est assez différent du précédent, “In Cinerama”, réalisé avec Mehdi Zannad. Plus électronique et psychédélique, un peu dans la lignée des premiers Pink Floyd… Tu avais envie de changer un peu de style ?
Non, ça venait vraiment de Staplin, c’est leur son et ça m’allait très bien. J’aime beaucoup Pink Floyd et les compositeurs qui ont influencé le duo, notamment de musique de film… Comme je le disais, quand je travaille avec des musiciens, compositeurs, producteurs, je n’essaie pas d’infléchir la direction musicale, ça n’aurait pas trop de sens. Je me contente d’accepter ce qu’on me propose.

Le travaille semble avoir été plus rapide que pour “In Cinerama”…
Oui, mais Mehdi n’est pas en cause, il travaille très efficacement ! Si “In Cinerama” a pris tellement de temps, c’est parce que je finançais moi-même les sessions d’enregistrement, au gré des rentrées d’argent. C’est pour cette raison que j’ai mis quelques années pour faire de disque, ce qui ne m’était jamais arrivé.

Le clip du morceau “Les Fleurs invisibles” a été réalisé par Oscar Jamois, le fils de Thomas. Te reconnais-tu dans son style très fantasmagorique ?
Oui, j’adore ! Ça ma rappelle le film “La Planète sauvage”. C’est un travail énorme pour une seule personne.

Ta carrière n’est pas facile à suivre. Tu publies tes disques sur divers labels, collabores avec quantité de gens. Tu es une artiste culte pas très connue du grand public mais certaines de tes chansons se sont retrouvées dans des films qui ont été beaucoup vus…
Oui, c’est ainsi que vont les choses. Je fais ce que j’ai vraiment envie de faire, parfois le résultat a du succès, parfois moins. Je ne m’inquiète pas trop, en fait… (sourire) Ma carrière dans le cinéma d’animation a été plus stable mais c’était un vrai boulot, j’ai fait pas mal de choses que je n’aimais pas spécialement, des pubs pour Coca-Cola ou autres.

Tu as rencontré des gens étonnants et importants quand tu étais plus jeune, comme Harry Smith, Allen Ginsburg, Nick Park ou Brian Wilson. Tu ne voudrais pas écrire tes mémoires ?
Un jour peut-être, pourquoi pas ? J’ai connu pas mal d’aventures en effet. Mais je ne pense pas me souvenir de tout ! (rires)

Le premier morceau du disque s’intitule “Le Rayon vert”. J’imagine que c’est un hommage à Eric Rohmer ?
Oui, j’adore ce film. Le cinéma m’inspire beaucoup mais j’essaie d’écrire mes propres scénarios dans mes chansons, en quelque sorte. En fait, si on écoute les paroles de celle-ci, ça n’a rien à voir avec l’histoire du “Rayon vert”, c’est totalement différent. On retrouve cependant le même sentiment d’hésitation face à un choix de vie.

La chanson “Natalie” fait référence à Natalie Wood. Qu’est-ce qui te fascine chez cette actrice dont la mort tragique reste mystérieuse et à qui tu as d’ailleurs consacré un long article pour le “New York Times” ?
En fait, j’avais illustré un livre pour enfants dont le personnage principal, une enfant actrice, était inspiré d’elle. Donc je devais la dessiner et je me suis documenté sur elle. J’ai dit à mon éditrice, qui travaille au “New York Times”, que j’aimerais rencontrer la sœur de Natalie Wood, Lana. Elle m’a alors proposé d’écrire un article. C’était très intéressant car il n’y avait jamais eu de portrait d’elle dans la presse. Et c’était au même moment où je travaillais sur cet album, d’où la chanson.

As-tu écrit d’autres articles ? Envisages-tu une carrière dans la presse ?
Non, et je ne pense pas que j’écrirai de nouveau des articles, en tout cas pas de ce type. C’était assez dur. C’est une histoire triste, au fond. J’ai dû lire le rapport du coroner du Los Angeles Police Department. Et puis il y a eu des faits que je n’ai pas pu mettre dans l’article, c’était ça le plus dur. Ils ne pouvaient pas être vérifiés mais je suis persuadée qu’ils sont réels. Notamment le fait qu’elle a été violée par Kirk Douglas. C’est plus qu’une simple rumeur. Sa sœur était présente. Et Natalie Wood en est sortie détruite.

Beaucoup te voient encore aujourd’hui comme une chanteuse légère de pop et d’easy listening, mais il y a sans doute quelque chose de plus profond, voire sombre dans toute ton œuvre…
Beaucoup de gens sont morts jeunes dans ma famille, ça a forcément eu un impact sur moi. Et quand on écoute bien mes paroles, la plupart sont très sombres… (rires) « Mais je ne suis pas déprimante » (en français).

Aimerais-tu revenir jouer en France ?
Oui. Je ne pas eu trop l’occasion de le faire ces dernières années, mais j’avais beaucoup tourné pour les deux albums sortis chez Tricatel, “Chrominance Decoder” (1996) et “Triggers” (2002). J’ai aussi joué avec Aquaserge, d’excellents musiciens. Et je suis toujours en contact avec Bertrand Burgalat, mais je pense qu’il est bien occupé !


Portrait : Michael Lavine.


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