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Interviews

Bertrand Burgalat – Interview – partie 1


BERTRAND BURGALATA l’occasion de la sortie de la compilation « L’âge d’or de Tricatel », il nous semblait on ne peut plus pertinent de rencontrer le fondateur et tenancier de la maison, j’ai nommé Bertrand Burgalat, et de le questionner sur l’histoire de son label, ses projets passés, présents et à venir. Le résultat est long, constituera donc le feuilleton de printemps de POPnews, et en voici le premier volet. Slovénie, classe mannequin et liberté de penser.

Tu as commencé en travaillant à l’étranger avec des groupes dont l’image est assez éloignée de celle qu’on prête au label, Laibach par exemple, comment s’est fait ce rapprochement ?
Dans le cas de Laibach, c’est vraiment par hasard. Ils étaient assez intrigants quand même, un groupe de l’est qui faisait une musique super provocatrice, dont on sentait qu’ils étaient intelligents… ça ne collait pas trop. J’avais des amis qui étaient allés en Slovénie et qui les connaissaient, ils étaient passés par Paris aussi. Ils m’avaient fait la promesse classique : « si tu passes par là-bas, viens nous voir ». Et puis je suis allé en Slovénie, j’ai fait un morceau pour eux, je pensais rester une semaine et puis je suis resté très longtemps, je ne rentrais plus à Paris que de temps en temps. Ce sont des gens qui m’ont appris une certaine liberté dans la production. Eux-mêmes n’étant pas musiciens, ils étaient très désinvoltes par rapport à la technique, alors que moi j’étais très scolaire, je lisais toutes les revues de son. Eux s’en foutaient que le son passe par tel micro ou tel magnéto. Ils m’ont aussi appris une plus grande ouverture d’esprit. Quand je repense à ces années-là, je pense vraiment que c’était un groupe très intéressant, dans le contexte de la Yougoslavie de l’époque. Ils avaient senti d’une façon incroyable ce qui allait se passer en Yougoslavie et l’avaient transposé en musique. Ensuite ils ont continué en s’attaquant au rock le plus banal, de Queen à « Life is Life ». C’étaient des gens très intéressants, ils le sont sans doute toujours. Ils étaient peut-être moins le nez dans le guidon que moi vis-à-vis de la musique, ils avaient des critères qui étaient, contrairement à ce qu’on imaginait pas idéologiques mais plutôt cérébraux ; alors que moi j’avais j’avais un jugement vis à vis de la musique plus intuitif.

Tu as écouté l’album qu’ils ont sorti l’an dernier ?
Je l’ai écouté, oui… J’aime beaucoup celui qu’ils ont fait après qu’on s’est engueulé. Celui qui devait s’appeler « Kapital ». Je trouve qu’il est très fort cet album. C’est très difficile d’échapper au systématisme, de ne pas refaire tout le temps la même chose. Quand on a divergé, c’était en partie parce que moi je pensais que c’était le moment pour eux de faire un vrai disque de pop, mais en sortant du côté reprises et tout ça. C’est là que ça se compliquait un peu. D’une certaine façon, ce qu’ils n’ont pas fait à ce moment-là c’est un groupe comme U2 qui l’a fait un peu plus tard, d’une façon très cynique, quand ils sont passés, sous l’influence d’Eno je pense, d’un groupe de rock héroïque, larmoyant à quelque chose de beaucoup plus cynique, d’assez totalitaire en réalité. C’est comme ça qu’ils ont passé le cap des années 80. Je ne suis pas nostalgique de cet âge-là, mais quand j’y repense, je me dis que j’ai eu de la chance de tomber sur des gens comme eux.

A la base, c’était un sacré coup de bluff, tu n’avais rien fait avant…
Si, j’avais joué dans des groupes et tout ça, le truc un peu classique, on jouait dans des groupes avec des gens, on faisait des concerts et rien ne se passait. A l’époque je jouais avec Jean, le mec d’Extraballe, des gens comme ça. La scène parisienne de l’époque était très cahotique, en particulier à cause de l’héroïne. Tout le monde en prenait dans les années 80 en France, on était encore dans ce trip-là.

Et ensuite, entre Laibach et la création de Tricatel ?
Après Laibach, je suis rentré en France, et j’avais faim de projets, je ne savais pas du tout quoi faire. Et puis je suis tombé sur Jad Wio. Je trouve que c’est un groupe qui avait la classe, ils avaient vraiment quelque chose, mais à part ça, même dans le rock, il n’y avait pas grand chose qui m’intéressait. Alors que tous les mecs que je croisais chez Mute, les Franck Tovey, Wire avaient des projets très exigeants, quand j’allais chez Squatt, ce n’était pas du tout pareil. Et encore, ce n’était pas le pire en France. Je me disais tout le temps que je n’avais pas fait assez de trucs pour qu’on me fasse confiance. On ne te fait jamais confiance par rapport à ce que tu vas faire, mais par rapport à ce que tu as déjà fait. Par Paul Kendall qui était ingénieur du son chez Mute, j’ai pu travailler avec Samy Birnbach de Minimal Compact, de fil en aiguille… Tricatel, ce n’était pas un projet. D’abord si je m’étais dit que j’allais faire un label, j’aurais pris un nom plus sérieux. Au début c’était juste une société de production, pour enregistrer, j’avais besoin d’une structure pour facturer certains trucs. Bizarrement, j’étais très optimiste, je me disais toujours que tous les projets allaient marcher, intéresser du monde, et je voyais arriver des gens de maison de disques avec des projets aberrants à essayer de sauver, dont on se demandait pourquoi il les avaient signés. Je leur disais qu’il fallait sortir des gens comme Momus, qui avaient un réel talent, une qualité d’écriture qu’aucune des personnes qu’ils signaient n’avait et ça leur paraissait ahurissant. Ce qui aurait été intéressant, c’est que des gens comme ça aient la possibilité d’aller au delà d’un public très averti. A chaque fois je me disais « bon ben je vais produire le disque et puis trouver une licence ». Et puis je ne trouvais pas de licence. Donc au bout d’un moment, à force de constater qu’on franchissait une étape de plus à chaque fois, on a décidé de se structurer comme un vrai label, avant de devoir en arriver à avoir notre propre magasin de disques pour écouler nous-mêmes nos productions !

Tu parlais de Mute. Il y a d’autres labels qui t’ont influencé au départ ?
Ah ouais, El Records. Pour moi c’était le premier label un peu fantasque. Alors que jusque là, les labels se montaient avant tout pour sortir des trucs qui marchent. Même des trucs classes, comme Motown par exemple, mais Berry Gordy n’était pas un tendre pour autant. Alors que Mike Always, je ne dirai pas qu’il faisait tout pour que ça ne marche pas, mais… je crois que c’est Andrew King, l’ancien manager de Pink Floyd qui a dit de lui « je n’ai jamais vu un mec aussi fort depuis les années 60 pour faire des disques que personne n’a envie d’acheter ». Mike, en fait, c’est un metteur en scène, ce n’est pas du tout un producteur dans le sens où il ne s’implique pas en studio, mais pour moi il mettait vraiment en scène son label comme un film. Il y a un autre label que je trouvais génial au début des années 80, c’est la Compact Organisation, de Tot Taylor. Lui c’était quelqu’un de beaucoup plus classique, dans le style Gershwin ou Cole Porter. C’est une toute petite écurie de songwriters et ils sortaient plein de trucs, comme Virna Lindt ou Mari Wilson. Dans un autre genre, ZTT, dans les années 80, arrivait avec Propaganda, Art of Noise, Frankie Goes To Hollywood,… c’était la grosse classe. Ce sont des aventures un peu romantiques, c’est sûr. Mais bon, pour moi le plus important, c’est quand même El Records.

La première sortie de Tricatel, c’était le disque de Valérie Lemercier…
Oui et ça ne devait pas du tout sortir chez nous en fait. C’était une commande de M6 Interactions pour Vanessa Demouy. C’est pour ça que Valérie avait écrit un texte comme « 95C », c’était pour « Classe Mannequin ». Je trouvais ça marrant, mais Demoy elle ne comprenait pas, elle voulait chanter du R’n’B. On s’est séparé bons amis, les morceaux étaient écrits et enregistrés, ils nous les ont laissés et c’est comme ça qu’on a commencé. On ne s’était pas dit qu’on allait faire un disque de Valérie, elle avait juste fait les voix témoins à la place de Vanessa Demouy. D’ailleurs, ses voix étaient bien meilleures quand elle les faisait pour Vanessa, parce qu’elle s’en foutait. A partir du moment où c’était pour elle, elle était plus hésitante, plus en retrait, elle disait « mais je suis pas une chanteuse… ». En même temps, ça a du charme aussi.

 

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