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Jérôme Soligny – Interview

  JÉRÔME SOLIGNY

Rue Caumartin, à côté de la rue du Havre. Rien que cela constitue un indice sur celui que nous allons interviewer en ce lundi matin. Jérôme Soligny, l’homme-qui-ne-dort-jamais. Non content de signer la traduction considérablement enrichie de l’autobiographie de Tony Visconti, Jérôme, dont la réputation de rock-critic au sein de Rock & Folk n’est plus à faire, enregistre en ce moment son nouvel album, "The Win Column", premier album depuis 16 ans, et met un point final à "Writing on the Edge", un recueil d’articles rock qu’il signa tout au long de sa carrière. Pendant plus d’une heure, Jérôme Soligny nous expliquera son cheminement musical, ses rencontres, son travail. Après l’entretien, nous comprenons soudain les raisons qui en font un des personnages les plus intègres de ce métier : l’humilité, l’absence de compromission, et une passion incommensurable pour certaines galettes musicales qui ont changé sa vie et qui, coup de bol, ont également changé la nôtre.

Jérôme Soligny, par Julien Bourgeois

A quand remonte ce projet de traduire l’autobiographie de Tony Visconti ?
A pas très longtemps en fait, lorsque que Tony m’a envoyé sa bio. Il faut savoir qu’avec Tony, on se connaît depuis 1993. Je l’ai rencontré au concert tribute à Mick Ronson, où j’étais allé pour faire un papier pour Rock & Folk, c’était au début des années 90. C’est probablement la seule personne de toute ma carrière de journaliste que je suis allé voir sans raison. Tous les gens que j’ai rencontrés dans ce métier, je les ai rencontrés à cause, ou grâce à Rock & Folk ; mais jamais, avant ça, je n’aurais fait la démarche d’aller vers quelqu’un, ne serait-ce que pour serrer la main ou pour dire "j’aime beaucoup ce que vous faites", même avec Bowie, aussi bizarre que ça puisse paraître. Et donc, je vais à ce concert-là, il y avait un assistant de Rodney Bingenheimer que je connaissais, qui m’avait fait rentrer backstage. A l’époque, j’avais déjà travaillé avec Mike Garson, ce qui me faisait rentrer un peu partout. Je suis allé voir les Spiders From Mars qui étaient là, j’ai parlé avec Trevor Bolder, il y avait aussi Ian Hunter, que je connaissais un tout petit peu à ce moment-là.

Et puis arrive Tony, et je vais naturellement vers lui et, pour le coup, je lui dis : "Ecoutez, il faut que je vous dise, je suis un fan transi" (rires), et c’est vrai que j’ai toujours été ultra fan de Tony Visconti ou de Georges Martin, plus que d’autres personnes dont j’ai pu croiser le chemin. Donc, on a sympathisé, et de cet événement à "Heathen" (album de David Bowie sorti en 2002, ndlr), on s’est beaucoup vus, quand j’allais à New York, ou quand il travaillait à Paris. Comme il a eu la gentillesse d’écrire dans le texte qu’il a écrit pour le livre en français, "si Jérôme habitait plus près, on serait sûrement encore plus amis". C’est vrai, mais en même temps, ma relation avec les gens est comme ça, les gens que j’aime, les gens de mon travail auxquels je suis liés, sont des gens qui sont loin, par la force des choses, Mike Garson, mais aussi Etienne Daho, l’air de rien, il y a deux cents kilomètres, ça fait qu’on n’est pas les uns sur les autres. Mike, je l’ai vu beaucoup parce que Bowie a heureusement beaucoup tourné depuis que j’ai modestement contribué à ce qu’ils rejouent ensemble. En ce qui concerne Tony, on s’est vus de loin en loin, on est toujours en relation, beaucoup par e-mail, au moment de la sortie de "Heathen", on a beaucoup conversé. C’est à ce moment-là que j’ai travaillé sérieusement sur les textes pour le back-catalogue de Bowie pour EMI, donc du même coup on se parlait pour des raisons cette fois-ci professionnelles. Donc, voilà, il y a une relation amicale, mais un peu comme avec Bowie, c’est toujours lié à un élément professionnel, ce n’est pas une amitié comme ça, qui tombe du ciel. Si aujourd’hui, je me retrouve à faire des choses "pour Bowie", c’est uniquement parce qu’en quinze ans, j’ai montré que j’étais là, et on a souvent des relations qui sont dues à des services dans un sens comme dans un autre d’ailleurs. Donc j’ai fait ce que j’ai pu. Il y a des groupes ou artistes que Tony a produits en France à qui j’avais glissé le nom, et c’est ainsi que ça s’est fait.

Et donc, quand Tony m’a envoyé son livre, je l’ai parcouru, sans le lire, parce que je n’avais pas le temps, ce serait malhonnête de dire que je l’ai dévoré, mais je l’ai parcouru, assez pour me rendre compte qu’il était super mais comportait quelques petites erreurs, mais bien sûr, je ne disais rien. Et un jour, dans une conversation, Tony me dit : "Mais tu crois que ça pourrait intéresser quelqu’un en France ?" et forcément, connaissant assez bien le marché du livre de musique en France, je sais que ça ne vend pas, que l’éditeur rentre rarement dans son argent ; le livre sur Clapton s’est ramassé, mon bouquin sur Bowie, soi-disant que j’ai fait un carton, j’en ai vendu 15 000, alors je me dis que ça doit être dur pour tout le monde, donc je le dis à Tony, ce ne sera pas le genre de bouquin qui marche. La France, c’est comme ça, il n’y a pas de report. Tout comme les gens qui aiment Bowie ne vont pas forcément acheter des disques de Mick Ronson. Et dans une conversation, je dis à mon éditeur Philippe Moreau, "Tiens, Tony Visconti m’a demandé éventuellement si quelqu’un serait intéressé par la version française de son livre, je suppose que toi, ça ne t’intéresse pas", sans penser une seule seconde qu’il allait dire : " Ecoute, si c’est toi qui le fait, ça m’intéresse". Et comme mon livre d’articles traînait, je pensais que ce serait une bonne idée de temporiser, vu que, dans ma grande naïveté, je pensais que ça allait me prendre deux mois.

Et je suis donc retrouvé à traduire le livre de Tony, et en rentrant dans le livre, je me suis rendu compte qu’il y avait pas mal de choses à revoir. Au début (tout ce qui couvre la jeunesse de Tony Visconti) je n’en vois pas trop, parce que je ne connais pas bien. Donc je traduis. Et quand arrivent les périodes que je connais, là, je commence à voir qu’il y a des erreurs. Donc qu’est ce que je fais ? J’envoie un mail à Tony, lui indiquant les fautes, il me dit : "tu as raison, il faut les corriger". Donc finalement, ça m’a pris vachement plus de temps, je suis revenu aussi sur tout le début. Alors, attention, ce ne sont pas des fautes qui empêchent de comprendre le livre. Mais il faut savoir que c’est un livre qui, à la base, s’adresse à des spécialistes. Si un type prend le livre, l’ouvre à la page lambda, et lit " Width of the Circle" au lieu de "The Width of a Circle", va se dire : "C’est bizarre, c’est censé être fait par le producteur de Bowie, traduit par Jérôme Soligny, et il y a la faute." Donc j’ai corrigé environ 200 trucs dans le livre, des dates, beaucoup d’orthographe de noms propres. Donc ça m’a pris quatre mois, on a vérifié les faits, ça allait jusqu’aux légendes des photos. Du coup, tout ce que je faisais d’autre prenait du retard, un moment j’ai arrêté le disque parce qu’il fallait absolument que je rende le livre.

 

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