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Alexander von Mehren – Interview

  Alexander von Mehren 2Il aura fallu attendre sa dissolution quasi définitive, pour mesurer à quel point Stereolab a marqué de son empreinte indélébile une génération entière de musiciens pop. Car c’est en effet au groupe culte franco-britannique de Tim Gane et Laetitia Sadier que l’on pense d’emblée lorsque retentissent les premières mesures d' »Aéropop », le premier LP d’Alexander von Mehren. Le Norvégien emprunte à Stereolab son goût pour les chansons-millefeuilles à tiroirs parsemées de ruptures stylistiques impromptues, de sonorités cyber-rétro-pop et de crossovers érudits entre musiques savantes et populaires. 

Mais si le musicien affiche d’entrée ses influences, c’est pour mieux les magnifier par la suite. Tout au long de l’album, il ne cesse de creuser le sillon d’une pop spacieuse, lumineuse et aérienne avec une maniaquerie qui confine presque à l’obsession, comme s’il voulait reprendre les choses là où les avait laissées Stereolab il y a quelques années après les sorties de « Cobra and Phases Group » et « Sound Dust ». Sans pour autant verser dans l’exercice de style pur et simple, « Aéropop » explore donc de fond en comble une même idée, un peu à la manière de ce qu’ont pu faire les merveilleux High Llamas sur « Hawaï » au milieu des années 90. Une sorte d’album concept pour geek de la pop mais qui reste paradoxalement accessible à tous, notamment grâce à des compostions aussi immédiates que sophistiquées bénéficiant d’une production luxueuse et d’un habillage sonore raffiné à mi chemin entre easy listening, smooth jazz, library music et flight-pop. 

De la ballade inaugurale légèrement groovy « La Chanson de Douche » à la radieuse et touffue « Natural Selection » – véritable climax de l’album – en passant par la virevoltante fantaisie sixties « Aérosuite, partie A », von Mehren aime à installer des climats instrumentaux, à tracer les contours de paysages sonores vallonnés et printaniers, concevant avec minutie la bande-son idéale d’un voyage aérien qui relierait Bergen (sa ville d’origine) à Paris (l’artiste est épris de culture française). Tout cela, bien sûr, à grand renfort de violons, trompettes, flûtes et d’une palanquée de claviers (rhodes, moog, vibraphone, piano) qu’il arrange ou joue la plupart du temps lui-même avec une aisance proprement hallucinante pour un premier essai. Mais au fait, qui est donc ce génial homme-orchestre dont on ignorait jusque-là à peu près tout ? Réponse en compagnie du principal intéressé.

 

 

 

Tu as une formation musicale classique assez poussée. A quel moment as-tu découvert la musique pop et pris conscience que tu allais t’exprimer via ce médium ?

Dès l’âge de 4 ans, j’ai passé beaucoup de temps à jouer du piano à l’étage de notre maison à Bergen, en essayant de reproduire ce que j’entendais sur les vieux CD des Beatles de mon père. J’ai rapidement commencé à composer de petites mélodies au piano et à 7 ans mes parents m’ont inscrit aux cours de la Bergen Music School. Là-bas, j’ai énormément appris sur la précision, le rythme et la technique, tout en étudiant de grands compositeurs comme Bach, Mozart ou Grieg – dont la maison se trouvait à quelques mètres du lieu où j’ai grandi . Durant ces dix années d’éducation classique, j’ai continué à développer mon intérêt pour la musique pop, particulièrement après la découverte de The High Llamas et Stereolab en1999. C’est ce qui m’a donné envie de faire de la pop et de me pencher sur la composition, les arrangements et la production. Particulièrement la production, l’album « Sound Dust » de Stereolab m’a, en ce sens, réellement marqué. Ça a d’ailleurs été une formidable expérience de travailler avec John McEntire, l’un des producteurs de cet album, pour le mixage d' »Aéropop ». 

Peux-tu nous raconter le parcours qui t’as amené à publier ton premier album « Aéropop » que tu as écrit, joué, arrangé et produit quasiment seul ?

L’écriture de certaines chansons – comme « Teria » et « Winter Comes » – remonte à 2001, mais je n’ai décidé de composer un album complet qu’à partir de 2006. Au moment de débuter l’enregistrement, je ne pensais pas que cela prendrait huit années pour le sortir ! Mais en travaillant sur les différents morceaux, je n’ai jamais ressenti de pression particulière pour finir l’album. Je voulais avancer à mon rythme, écrire méticuleusement les arrangements et faire évoluer sans cesse la structure et la production des chansons, en y ajoutant de nouveaux instruments dont je venais d’apprendre à jouer. « Natural Selection » – la plus longue chanson de l’album et aussi celle qui a pris le plus de temps à être enregistrée – évoque ce sujet. Elle est symptomatique de la manière dont s’est déroulé le processus d’enregistrement. Multiplier les allers-retours incessants, les essais et les erreurs, était une façon d’étudier le champ des possibilités qui s’offrait à moi. L’indécision – qui est d’ailleurs un autre thème de « Natural Selection » – a été un autre obstacle à surmonter. 

 

Avais-tu en tête au moment de composer, la couleur des arrangements et de la production qu’allait prendre ces chansons ? 

Ce dont j’étais sûr, c’est que les sonorités de l’album devaient être aérées, fraîches et organiques, que ma musique devait être à la fois accessible et recherchée, que l’on puisse découvrir à chaque écoute de nouvelles choses. C’est cette volonté qui apporte, j’espère, une certaine homogénéité à l’album. Le choix des instruments m’est venu très naturellement – je voulais rester fidèle à mes idées et habiller les chansons de sons qui correspondaient au sentiment et à l’atmosphère que j’avais en tête. Je savais que je voulais faire appel à un autre producteur pour le mixage, et McEntire a été mon premier choix car j’avais beaucoup écouté ses différentes productions et je voulais sa patte et sa signature sur l’album. Après le mixage, je suis allé au studio Abbey Road à Londres pour perfectionner l’album avec Steve Rooke, un très bon ingénieur en mastering qui a travaillé auparavant sur quelques uns de mes albums favoris et qui est aussi celui qui a remastérisé tout le répertoire des Beatles. Une fois l’album terminé j’ai commencé à contacter des labels et j’ai réussi à signer un contrat avec The Control Group en Amérique du Nord, Folkwit Records en Grande Bretagne, Rallye Label au Japon et Klangkollektivet en Norvège, avec lesquels je suis très heureux. Mon propre label, Aéropop Records, couvre le reste de l’Europe, dont la France.

L’album sonne comme la bande-son d’un voyage aérien. L’univers visuel de la pochette peut d’ailleurs évoquer celui d’une célèbre compagnie aérienne. A-t-il été imaginé dans ce sens là ? Installer un climat, un paysage sonore bien défini était-il une volonté de ta part ?

Absolument, je compose toujours en ayant des images en tête – elles font partie intégrante des idées musicales et me guident à travers l’atmosphère, l’instrumentation et la production des chansons. C’est un album de mouvement et de variété, et il y avait en effet beaucoup de mots-clés et de concepts dans cet album en général, « le voyage aérien » n’étant que l’un d’entre eux…

Le public français ne te connaît pas encore très bien mais tu sembles en revanche bien connaître la France – certaines de tes chansons, parmi lesquels le single « La Chanson de Douche », sont chantées dans notre langue. Clairement, la culture française semble être une source d’inspiration pour ta musique.

J’adore le français et la France est un si beau pays ! J’ai écouté tellement de musique française, une majorité étant des instrumentaux de library music ou de bandes originales. Je suis un grand fan de Janko Nilovic, un compositeur franco-monténégrin qui a travaillé avec l’excellent label Montparnasse 2000. J’adore évidemment l’album épique de Serge Gainsbourg « Histoire de Melody Nelson » tout comme la voix et les textes de Laetitia Sadier. J’ai également toujours suivi le label Tricatel et ce que fait Bertrand Burgalat. De plus, j’ai eu le plaisir de travailler avec d’excellents musiciens français comme Orwell et Chris Joss qui sont tous les deux incroyables ! Et j’ai aussi signé dans une agence française de synchronisation qui s’appelle Creaminal. Donc oui, on peut dire que je suis très attaché à la culture française. Quand je travaillais sur la composition de « Champs-Elysées » et « La Chanson de Douche », l’ambiance de ces titres m’apparaissait comme très française, donc j’ai décidé qu’elles devraient avoir des paroles en français – tout en restant, une fois de plus, fidèle à mes idées musicales inaugurales.

 

 

Tu parlais tout à l’heure de ta découverte de Stereolab et de The High Llamas qui a été déterminante dans ta façon d’envisager la musique. Sur l’album, on sent un très fort cousinage avec ces groupes – autant au niveau des sonorités utilisées que de la structure des morceaux. On pourrait résumer en parlant d’un certain goût  pour la pop savante mâtinée de rétro-futurisme…

Oui, comme je le disais, je suis un grand fan de ces deux groupes et leur façon de travailler leurs arrangements et leur structure m’a certainement beaucoup appris. Mais, il y a de nombreuses autres influences sur « Aeropop ». J’ai toujours eu une approche assez analytique en écoutant de la musique, m’inspirant, par exemple, des percussions de Earl Palmer sur les CD de David Axelrod, des basses de Bertrand Burgalat et des arrangements de cordes et des cuivres de Sean O’Hagan. Même si je suis imprégné par tout cela – et bien d’autres -, j’espère avoir tout de même développé mes propres sons et ma propre signature au fil des années. Mais j’ai toujours envie de créer de nouveaux paysages sonores, je travaille en permanence sur ce thème-là. C’est difficile de définir ma musique, de la ranger dans une catégorie mais on peut évidemment parler de pop. Et ça ne me dérange pas qu’on utilise le terme « rétro-futuriste » car j’apprécie et je m’inspire de la musique, de l’art et du design du passé, notamment la période qui couvre les années 1969 et 1974.

Justement, le risque qui menace pléthore de musiciens est d’être obsédé par ses influences au point d’en livrer une récitation scolaire et parfois passéiste. As-tu une recette pour éviter cela ?

J’ai toujours voulu créer mon propre univers musical, ça n’aurait aucun intérêt de reproduire ce qui existe déjà. Mes influences sont toujours présentes dans mon esprit, mais au final c’est la combinaison de différents éléments musicaux -ma production, mes arrangements et mon instrumentation- qui participent à créer l’atmosphère de ma musique qui, j’espère, paraîtra un peu originale aux gens qui l’écouteront. De plus, je voudrais que la version live de mon projet soit quelque peu différente, avec plus de caractère et de rythme que la version studio. Donc j’espère que ça donnera envie aux spectateurs des concerts d’écouter l’album et à ceux qui ont l’album de venir me voir en concert.

Alexander von Mehren 3

Autres influences que tu évoquais, les B.O de films et la library music des sixties et seventies. Peux-tu nous donner quelques noms d’artistes que tu apprécies particulièrement ?

Oh, il y en a tellement ! Dernièrement, je n’ai écouté que des chansons et de la musique italiennes comme Piero Umiliani (« Paesaggi »), Piero Piccioni (« Peccato Mortale ») et Ennio Morricone (« Vergogna Schifosi ») – tous de fabuleux compositeurs avec des très beaux albums. « Rythmes Contemporains » de Janko Nilovic, dont j’ai déjà parlé, est incroyable et Sven Libæk (« Solar Flares »), Stringtronics (« Mindbender »), Oronzo De Filippi (« Meccanizzazione ») et Alan Moorhouse (« KPM The Big Beat Volume 1 ») sont tout aussi excellents. J’ai aussi beacoup écouté de musique des années 90 et 2000 de la scène musicale de Chicago, par exemple Tortoise, The Sea and Cake, Jim O’Rourke, David Grubbs et Gastr del Sol. Parmi les artistes et groupes plus contemporains, j’aime bien Tame Impala, Melody’s Echo Chamber, Chris Holm et Unknown Mortal Orchestra.

La vie a l’air d’être agréable à Bergen. Est-ce un endroit propice pour faire de la musique ? Ces dernières années, sont parvenus jusqu’à nos oreilles de nombreux artistes bergenois comme Kings of Convenience, Young Dreams, ou The New Wine. Comment expliquer un tel bouillonnement créatif dans une ville pourtant si petite ?

Oui, on peut dire que c’est une bonne ville pour faire de la musique, il pleut tellement que nous passons beaucoup de temps chez nous à composer ! (Rires) Sinon, c’est une ville magnifique remplie de gens géniaux dont beaucoup sont des artistes donc c’est forcément un endroit idéal pour créer de la musique, de l’art. La scène musicale n’est pas très grande donc les musiciens et les producteurs sont facilement en contact les uns avec les autres et se rencontrent sur de nombreux projets. Nous nous entraidons sur les live et les enregistrements, et de plus en plus de labels sont créés à Bergen, comme celui avec lequel je travaille en ce moment, l’excellent Klangkollektivet – fondé par de jeunes gens idéalistes qui partagent le même amour de la musique. Clairement, il y a beaucoup de gens qui aiment la musique alternative et underground à Bergen.

Quels sont tes projets pour l’avenir ?

Je suis toujours en train d’écrire de nouvelles compositions, donc il y aura forcément un autre album – disons dans quelques années (rires) ! Je fais aussi des concerts à Oslo en février et une performance à SXSW en mars. J’espère vraiment programmer plus de live à l’étranger cette année et surtout en France ! Et je vais sortir un EP un peu plus tard cette année qui sera composé de remix de chansons de « Aeropop » par des musiciens comme Sean O’Hagan (The High Llamas), John McEntire (Tortoise), Andy Ramsay (Stereolab) et Orwell, donc je suis très impatient !

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