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Disques

Tindersticks – Distractions

Un an et quelques mois après le lumineux et orchestral No Treasure But Hope”, les Tindersticks reviennent déjà avec “Distractions”, le treizième chapitre de leur discographie, plus épuré et expérimental. Bien qu’enregistré au cœur de la pandémie que nous connaissons, le disque n’en est que le reflet involontaire. Contraint d’arrêter leur tournée, les membres du groupe ont profité du temps qui leur était subitement offert pour explorer de nouvelles pistes. Il en résulte un album à part dans leur œuvre.

Ces dernières années, Stuart Staples a multiplié les projets et collaborations, avec ou sans ses camarades. Il y eut “Minute Bodies” (avec les Tindersticks), la musique accompagnant un montage de séquences filmées par le naturaliste britannique Frank Percy Smith , un album solo (“Arrhythmia”), et la bande originale du film “High Life” de Claire Denis. Des travaux parallèles qui sont autant de manières nouvelles d’aborder la composition, et qui lui ont visiblement donné le goût de l’expérimentation. Surprendre, mais aussi SE surprendre. Ne pas rester statique, à rejouer son meilleur tour, aussi beau soit-il. Si “No Treasure But Hope” se voulait classique dans son approche, “Distractions” témoigne d’un réel lâcher-prise, et d’une volonté d’amener la musique sur un terrain moins connu, en prenant des risques.

Et il ne faut pas aller plus loin que le titre d’ouverture, “Man Alone (Can’t Stop the Fadin’)” pour s’en rendre compte. Staples y livre ses pensées nocturnes décousues de sa voix démultipliée, sur une structure inhabituelle, flirtant généreusement avec l’électronique. Une excursion solitaire et hypnotique de 11 minutes, qui joue sur la répétition pour créer l’illusion de la confusion et enfermer l’auditeur dans un état second. Inattendue et pour le moins déroutante, cette introduction s’avère, après quelques écoutes, étonnamment addictive.

Diamétralement opposée, “I Imagine You” adopte une approche minimaliste. Quelques notes aériennes, teintées de timides fioritures, et le chuchotement suave de Staples. Sa voix ondule, sans jamais s’élever plus haut que la musique, comme une déclaration faite à un(e) endormi(e). Une mise à nu d’une immense délicatesse. Plus loin, on retrouve cette économie de moyens sur “Tue-moi”, complainte chantée en français, en hommage aux victimes de la tuerie du Bataclan, salle où le groupe s’est produit par la passé. Un dialogue piano-voix bouleversant.

Paradoxalement, les moments qui apparaîtront les plus familiers aux fans du groupe viennent des trois reprises qui occupent le cœur du disque : “A Man Needs a Maid” (Neil Young), “Lady With the Braid” (Dory Previn) et “You’ll Have to Scream Louder” (Television Personalities). Les Tindersticks y renouent avec un songwriting plus charpenté et des arrangements un peu plus riches (même si, dans le cas de la chanson tirée de “Harvest”, on est très loin de l’emphase orchestrale de l’original). Ils prouvent surtout qu’ils ont toujours autant de talent pour s’approprier les morceaux des autres et leur imprimer leur marque, en livrer une interprétation qui impose d’emblée son évidence.
La relecture la plus étonnante est peut être ce “You’ll Have to Scream Louder” extirpé de ces origines post-punk pour lui donner une approche groovy rappelant l’album “The Something Rain” (2012). Le message, très politique, résonne aujourd’hui avec la même pertinence qu’en 1984.

« I’ve got no respect for
These people in power
They make their decisions 

From their ivory towers »

L’électrique “The Bough Bends” conclut le disque magistralement. S’étalant sur près de 10 minutes, le titre débute dans le silence pour gagner progressivement en intensité. Quelques oiseaux, et le souffle de Staples. Rien de plus. L’instrumentation s’installe peu à peu, une voix, puis deux. Des pensées éparpillées auxquelles répond un écho parfois contradictoire. Les éléments s’agitent et l’orage se rapproche. Dans le dernier tiers, la guitare accompagne puis prend le relais du chant, mais les saturations finissent par s’évanouir et ne laisser à nouveau que le chant des oiseaux. Véritable morceau à tiroirs, il représente la synthèse parfaite de “Distractions”, et plus largement de Tindersticks. Entre ce que le groupe a été, est, et deviendra.

Près de 30 ans après ses débuts, le groupe avance toujours à l’instinct, délivrant une œuvre aussi énigmatique que saisissante. Il ne fait nul doute que ces distractions sont faites pour durer.

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