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Disques

The Mountain Goats – Jenny from Thebes

Tragédie au royaume de la lo-fi : The Moutain Goats sort une suite au dernier monument de la pop sur cassette, “All Hail West Texas” (2002). Contrepied esthétique total, l’album déçoit malgré ses bonnes intentions et ses réelles qualités d’écriture.

C’est la mort dans l’âme (hommage éternel à Camus de Camus et Camus, producteur de feu Johnny Hallyday) qu’on doit admettre l’évidence, ce “Jenny from Thebes” nous laisse de marbre. Si on fait partie de ceux qui n’ont pas renié l’abandon du lo-fi chez John Darnielle et qui considèrent même cette seconde période comme une quasi-renaissance, nous ne sommes pas, cette fois-ci, complètement babas-béats, malgré l’emballage.

“Jenny from Thebes” est annoncé, accrochez-vous, comme la suite de “All Hail West Texas”, ultime album lo-fi (avant le retour et ô combien exceptionnel “Songs For Pierre Chuvin”, en plein confinement de 2020). Au centre du dispositif, le personnage de Jenny, créé sur le dit album et personnage reparaissant, à la Balzac, ici ou là, au gré des aventures d’écriture de Darnielle. Ajoutons une allusion à la Grèce antique, des titres qui ne laissent jamais indifférents le fan des Mountain Goats (“Going to…”, ici Dallas). Ce disque a tout pour plaire, avec un groupe qu’on ne présente plus depuis une poignée d’albums, au top de sa forme : en plus de l’éternel (et communiste) indéboulonnable bassiste Peter Hughes, on trouve évidemment le batteur John Wurster et l’homme à tout faire, Matt Douglas (mention spéciale à ses interventions aux vents sur “Fresh Tatoo” et “Great Pirates” pour ne citer que les meilleurs de l’album).

Toutes les cases sont bien cochées, ajoutons encore quelques délicieuses cordes sur “Jenny III”, cerise sur le gâteau. Mais voilà, on a l’impression que l’intelligence artificielle a été requise pour composer l’album parfait des Mountain Goats, qui sonne plat et creux, absolument sans relief. Tous les ingrédients sont là et on écoute “Jenny from Thebes” sans déplaisir mais sans que rien ne vienne réveiller notre intérêt.

Pour un peu, on soupçonnerait presque Darnielle, vrai petit malin question écriture et idée, d’avoir vraiment eu recours à l’lA à la manière de Laurie Anderson, qui utilise ce type de logiciel pour créer, entre autres, des relectures de la Bible mais surtout des dialogues entre elle et feu son compagnon Lou Reed, en utilisant comme base de données des textes et interviews.

Jenny l’outlaw, tendance ado rebelle de “All Hail West Texas”, est en fait (nouvel éclairage sur le personnage dans “Jenny III”), une brigandine moderne. Personnage tarantinesque de bandit cool, poursuivie par la loi mais dont le ou les délits importe(nt) peu tant c’est la fuite qui prime, dans le fatum d’aujourd’hui.

« There’s no place to hide from the prophecy

Since nobody told you it falls to me

There’s only one way out »

(“Only one Way”)

Darnielle colle ainsi les principes, toujours efficaces, de la tragédie à une esthétique très culture populaire, jamais reniée et constitutive de ses chansons.

Plus fin, des allusions discrètes à d’autres chansons de l’éternel “All Hail West Texas” :

« You lay on the couch three weeks

Until the color came back into your cheeks »

(“Fresh Tatoo”)

fait référence à la période sous amphètes de Darnielle :

« We haven’t slept for weeks

Drink some of this

it will put colour in you cheeks »

(“Colour in Your Cheeks” dans “All Hail West Texas“)

Allusion mise en scène dans une chanson fuite du temps allégorisant sur les encres passées des vieux tatouages dont on sait que Darnielle fut friand.

Tout se mélange, les personnages et la vie réelle. D’autres éléments de “All Hail West Texas” ressurgissent tels la Kawasaki de la chanson “Jenny” en 2002, ici au rebut (« It’s somewhere in a wreckyard now »). « The pirate’s life for me », concluait la chanson de 2002. C’est visiblement toujours vrai mais avec du plomb dans l’aile vingt et un ans plus tard.

La créature se joue de l’auteur et réciproquement dans “Jenny III” car l’écriture de Darnielle va toujours dans le sens de la libération :

« Jenny came to get me

She’d be gone for several years

Aging motorcycles purr like cats when they grow near

I was crying, I could barely make the frame out

Through my tears

She did long before we did

She did

Long before we did

Jenny, you did

Long before I did »

Reste à mettre tout ça en musique mais on sait que The Mountain Goats est une machine qui tourne bien, toute seule même.

Que ce soit dans l’indie rock pur jus punkoïde de “Murder at the 18st Garage” ou dans la tonalité pop classieuse tendance Cars dont Darnielle se réclame pour cet album. C’est bien beau et bien fait mais on s’ennuie, pour le dire platement. Un sursaut peut-être en fin d’album nous réveille avec ce “Great Pirates” qui mise tout sur un solo d’instruments à vent puisqu’il est question de vagues et de rebelles luttant contre la mer. Allez, et si ce son 80’s/90’s, qui colle si bien avec les couleurs pastel du texte, nous emmenait lorgner du côté de Point Break et de ses bandits philosophes surfeurs en attente de satori dans un Endless Summer ?

Bien fait certes, malin, OK, mais bon… On passe notre tour.

Avec l’aide de Johanna D, toujours playing double dutch.

“Jenny from Thebes” est sorti chez Merge le 27 octobre 2023.

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