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Bilans annuels

Bilan 2021 – Des voix au féminin

Lorsqu’on observe les différents tops qui paraissent ici et là ces derniers jours, on ne peut qu’être frappé par le nombre de musiciennes en tête des classements, tous genres confondus. Les derniers albums d’Adele, Lana Del Rey, Billie Eilish figurent fréquemment en très bonne place. Elles ne sont cependant que les arbres qui cachent une forêt dense et diversifiée d’artistes talentueuses. Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité, proposons un petit bilan des albums féminins et parfois féministes de l’année 2021…

Engagement. Peu remarquée par la presse francophone, l’Américaine Ani DiFranco a proposé cette année un nouvel album, “A Revolutionary Love”, le vingtième après trente ans de carrière. Dans ce disque mêlant avec maestria tonalités folk, voix soul, accroches funk et pop, on retrouve ses engagements, son espoir d’un changement social, sa critique virulente de la politique américaine (l’album a été composé avant la pandémie, lorsque Trump était encore au pouvoir). “A Revolutionary Love” est un appel puissant à la fraternité et à la solidarité.


Autobiographies multiples. Nous l’avions chroniqué pour POPnews, l’album “A Common Turn” d’Anna B Savage retrace une rupture difficile suivie d’une longue dépression. Elle y rejoue l’histoire de son couple, impliquant son ex-compagnon et théâtralisant sa douleur. Sa voix de contralto, aux inflexions proches de celles d’Anohni, offre aux divers titres de l’album une tension poignante.

Il est également question de rupture, de catharsis et de résilience dans l’album de Snail Mail, “Valentine”, moyennement apprécié ici mais que l’on retrouve très haut placé dans de nombreux tops. Lindsey Jordan livre un album queer d’une grande vulnérabilité, conçu durant une cure de désintoxication.

Dans une même veine indie rock, “Home Video”, le nouvel album de Lucy Dacus, la voit explorer un passé familial compliqué, raviver les années passées dans un milieu ultra-religieux et revenir sur ses premiers petits amis foireux. Liz Phair a de belles héritières…

Un peu plus au nord, à Montréal précisément, Alexandra Levy alias Ada Lea a signé un deuxième album au titre à rallonge (“One Hand on the Steering Wheel the Other Sewing a Garden”) et aux chansons bouleversantes, interprétées d’une voix magnifique et produites avec beaucoup de soin et d’inspiration. Inspirées de sa vie, et même de divers endroits de la ville, elle parviennent à toucher à l’universel au-delà de leur dimension personnelle et cathartique.


Intimité. On pouvait tout craindre de Dodie Clark, phénomène du web depuis une dizaine d’années grâce à ses reprises sur YouTube, mais “Build a Problem” est une très bonne surprise. La jeune femme y chante sans fard, avec honnêteté, des moments choisis de son journal intime, proposant un autoportrait sans complaisance heureusement fréquemment sauvé par l’autodérision.

C’est également cet humour et cette distance avec soi-même que l’on retrouve sur le solaire “I Know I’m Funny Haha” de Faye Webster. Teinté de colorations country et d’inflexions bossa nova, l’album s’écoute le sourire aux lèvres, dissimulant la tristesse des lyrics derrière l’attitude cool et la pudeur constante de son auteure.

C’est une même sensibilité à fleur de peau qui anime Cassandra Jenkins lorsqu’elle compose “An Overview on Phenomenal Nature”. L’album est écrit suite au suicide de David Berman en 2019. Jenkins devait partir en tournée avec le musicien de Silver Jews et Purple Mountains lorsque le drame est survenu. Si quelques titres évoquent directement Berman, le reste de l’album traite de la mort et du deuil d’une façon allusive, sans apitoiement. Tantôt folk-rock, tantôt quasi-ambient, “An Overview on Phenomenal Nature” est un des albums les plus envoûtants paru cette année.


Genres. 2021 aura aussi vu des compositrices investir des catégories musicales diversifiées pour y livrer des œuvres majeures. Il n’était sans doute pas évident de raviver le soft rock de Fleetwood Mac et la pop atmosphérique de The Blue Nile aujourd’hui, mais Tamara Lindeman y est arrivée avec son groupe, The Weather Station, et un album, “Ignorance”, qui se retrouve dans le peloton de tête des sélections de Pitchfork ou du Guardian. Traversé par l’angoisse provoquée par le changement climatique, “Ignorance” est peut-être l’un des disques les plus importants de l’année, tant thématiquement que musicalement.

C’est un même geste abouti et radical auquel accède Valerie June avec “The Moon and Stars: Prescriptions for Dreamers”. Comparée à Van Morrison période “Astral Weeks”, la musicienne investit la soul pour la métisser de toutes les traditions musicales américaines, des chants appalachiens au psychédélisme en passant par la dream-folk ou l’électro. Bob Dylan lui-même ne s’y était pas trompé en saluant June comme une des artistes les plus prometteuses à venir.

Enfin, Olivia Rodrigo, ex-enfant star de l’écurie Disney, propulsée comme la nouvelle Britney Spears, moquée par la presse people pour ses amours compliquées, a prouvé sa crédibilité après un passage remarqué et remarquable au Saturday Night Live. Son album “Sour” est une perle pop impeccable où la jeune femme de dix-huit ans se révèle également être une parolière nuancée et extrêmement talentueuse.


Inclassables. Si le nouvel album de Xenia Rubinos, “Una Rosa”, s’inscrit dans les rythmes de la musique latino, c’est pour mieux les faire éclater dans un trip électro expérimental. Immersif et théâtral, l’album s’écoute comme un voyage dans le temps et dans l’espace, comme l’invention improvisée d’un rétrofuturisme portoricain.

C’est également sur le terrain des expérimentations sonores qu’évolue l’Américaine Claire Rousay depuis quelques années. Adepte du field recording et de l’ambient, elle signe avec “A Softer Focus” un album soyeux et aérien, introduisant des voix et des cordes dans son univers. Son disque le plus concluant à ce jour.


Nous aurions pu encore continuer longtemps tant les quelques artistes ci-dessus ne sont qu’une petite partie des nombreuses musiciennes, confirmées ou nouvellement arrivées, qui ont jalonné 2021. Par ailleurs, nous nous en sommes tenus à des musiciennes œuvrant seules. Nous aurions également pu citer ces nombreux groupes essentiellement masculins portés par la voix de leur chanteuse comme Wolf Alice et son “Blue Weekend”, ou Still Corners et “The Last Exit”, deux albums hautement recommandables. Sans oublier, en France, le duo bordelais Queen of the Meadow (Helen Ferguson et Julien Pras), auteur d’un troisième album, “Survival of the Unfittest”, au folk puissant et incarné, ou, dans une veine assez proche, Rum Tum Tiddles, soit la chanteuse anglaise Madeleine Mosse et les musiciens français Thomas Bevand et Fred Lambert, qui signent avec “It Is a Story” un recueil de chansons délicates, aux sobres arrangements acoustiques. Puisse ce petit parcours musical avoir simplement ébauché la diversité et la multiplicité des talents qui se sont manifestés en 2021…

Avec Vincent Arquillière.

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