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Disques

The Necks – Travel

Les papys crossover australiens de The Necks publient un double album de 4 titres vendu comme 4 improvisations pré-sessions. The Necks en concert pour vous sur la platine. Et c’est brillant.

Pour les amateurs du trio The Necks, ondoyant dans les eaux chamarrées (et fourre-tout) de l’improvisation/jazz/musique contemporaine/avant-pop, avouons que la frontière entre albums composés et improvisation est bien mince. Pourtant, les Australiens tiennent à ce distinguo et envisagent ce “Travel” comme un voyage d’oreilles indiscrètes dans leur studio pour capter les improvisations qui débutent chacune de leurs sessions.

On ne chipotera pas et on mettra tout le monde d’accord en disant que “Travel” est un excellent album de The Necks dont chaque titre (effectivement, soyons bon princes) ressemble à un de leur set… mais avec l’avantage de tenir sur une face de vinyle.

On retrouvera donc la qualité qui leur est propre, de se lancer, à la fois chacun bien campé sur ses positions et sa proposition, et d’avancer de concert, de progresser vers une composition commune. Parfois en frictions, d’autres fois en glissant doucement vers l’autre. Tout l’art consistant à faire bouger les lignes quasi millimètre par millimètre. Ici la composition de l’album est simplement réduite à choisir les titres de session les plus organiques et orgasmiques.

Lâchons les chiens. “Signal” ouvre fort avec une ambiance à la “Take 5” du Brubeck Quartet, mais piochant à l’envi dans la drum & bass de Roni Size (superbe contrebasse) et des effluves presque de patchouli au piano. On apprécie aussi le petit woo woo très bienvenu, en touche supplémentaire d’âme humaine (même si provenant d’un clavier bien senti). Et une fin musclée à la contrebasse, presque heavy (toute proportion gardée), un côté chamarré cachemire à la Led Zep.

Restons dans le domaine du rêve haschischin avec “Forming”, beaucoup plus free, restant longtemps dans un indéterminé riche de possibilités, de tentatives esquissées. Avec des percussions très fines, dans les aigus, bordéliques aussi comme des micro-mondes, sur une basse très lourde et profonde pendant que le piano cherche à faire entendre sa voix. On adore la fin prodigieuse, dans une rythmique percussive à l’aide de deux mains et de deux pieds. On imagine Tony Buck s’agitant dans tous les sens mais ne lâchant pas pour autant ses sortes de maracas, comme des percussions gnawas.

“Imprinting” pourrait virer au jazz chiant à clavier électrique et contrebasse mais avance comme un homme ivre à l’aide des percussions boiteuses et tout en contretemps de Tony Buck. C’est un titre assez beau et représentatif de l’esprit The Necks : ne pas chercher à aplanir les frictions tout de suite, ne pas capituler au plus vite à la recherche de l’ensemble harmonieux mais le laisser se développer petit à petit.

Enfin “Bloodstream” est presque dans le genre pop. Celui du psyché, du prog,  y compris au sens très large, de Deep Purple (option “Machine Head”) à Led Zepelin (genre “IV”). Des prémices de l’ambient avec un clavier, le titre s’évade avec un piano jazz, avant de s’épaissir avec des grésils de percussions. Ce n’est plus l’option friction mais celle de laisser un membre prendre la direction d’emblée et de venir l’enrichir puis le bousculer… comme John Bonham venait faire le vide autour de lui et bourriner. Buck est plus fin et s’il cogne, c’est dans une explosion de coloris de cuivre et de peaux, de rythmes quasi tribaux, comme non plus un batteur mais un ensemble de percussionnistes. Avec un final miroitant et crépitant sur des belles irisations de claviers.

Ce qui est le plus fascinant, c’est qu’à la fin du morceau, on ne sait plus très bien comment celui-ci a commencé et qu’il est assez difficile de repérer les glissements ou les ruptures dans l’espace mental de l’écoute. C’est véritablement un voyage dans la création d’un univers commun. Et c’est magique.

Longue vie à The Necks.

Avec l’aide de Johanna D. adepte de la star Buck (et du café).

“Travel” est sorti en numérique, CD et double LP le 24 février 2023.

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