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Bilan 2023 – Les disparus

L’année 2023 aura peut-être vu moins de personnalités qui nous sont chères (et directement liées à la musique que nous défendons ici depuis 25 ans) passer l’arme à gauche que 2022, qui nous avait privés de Mimi Parker (Low), Cathal Coughlan (Microdisney, The Fatima Mansions…), Terry Hall (The Specials, Fun Boy Three, The Colourfield…), Martin Duffy (Felt, Primal Scream…), David Freel (Swell), Chris Bailey (The Saints), Andrew Fletcher (Depeche Mode), Arno ou encore Mark Lanegan. N’empêche, la disparition brutale de Jean-Louis Murat en mai fut un grand choc, qui nous aura fait nous replonger dans son œuvre profonde et profuse (dont des dizaines d’inédits qui mériteraient de connaître la lumière du jour). Avec Jane Birkin, qui nous a quittés en juillet, deux mois avant que la maison de Serge Gainsbourg n’ouvre enfin au public, nous avons perdu à la fois une vedette populaire très aimée et un modèle pour nombre de chanteuses françaises – et pas seulement. Quant au nettement plus secret Tom Verlaine, son jeu de guitare et son chant auront eu, depuis les débuts de Television au milieu des années 70, une influence déterminante sur tout le rock indépendant. Autre guitariste crucial, Geordie Walker (Killing Joke), adulé par Jimmy Page, Kevin Shields ou Dave Grohl, aura défini avec quelques autres le son du post-punk, du rock gothique, et plus tard du rock industriel.
Du côté de la quatre-cordes, bon nombre d’aspirants bassistes avaient sans doute tenté de reproduire les lignes puissantes d’Andy Rourke sur les chansons des Smiths, et continueront de le faire. On dit souvent d’un bon bassiste qu’on ne fait pas toujours attention à lui quand il joue sur un bon morceau, mais quand il ne joue pas, aucun morceau ne fonctionne correctement. Un compliment qui s’applique parfaitement à Andy Rourke qui a souvent dû jouer des coudes entre un Morrissey et un Johnny Marr trop imposants. Le musicien nous a quittés en 2023, et il convient de réécouter en priorité les lignes de basse de “Barbarism Begins At Home“, “There is a Light That Never Goes Out“ ou encore “Heaven Knows I’m Miserable Now“. Son décès referme a priori la porte sur une reformation de toute façon improbable d’un des plus grands groupes des années 80. La mort de Steve Mackey, en revanche, n’a pas eu de répercussions sur le retour scénique de Pulp, dont il avait préféré ne pas être partie prenante. Ça ne la rend pas moins triste pour autant.
Enfin, nous aurons perdu à un jour d’intervalle deux chanteurs nés à quelques mois d’écart, et qu’on pouvait considérer comme les derniers représentants d’un certain esprit punk : fidélité à ses convictions et refus des compromissions. Même si elle n’a surpris personne vu ses excès passés, l’émotion a été mondiale face à la disparition de Shane MacGowan, et il aura été difficile de retenir ses larmes en réécoutant les chefs-d’œuvre des Pogues, cette sublime anomalie dans la musique des années 80 où il n’était plus très bien vu de mettre ses tripes sur la table. Devant les vidéos des interprétations par Glen Hansard, Nick Cave, Mundy ou d’anciens membres du groupe (Spider Stacey, Cait O’Riordan…) lors de la messe pour ses funérailles, et par une foule d’anonymes lors de la procession dans les rues de Dublin, s’imposait une évidence : hier comme aujourd’hui, ces chansons expriment toute l’âme d’un pays et, au-delà, touchent à l’universel, à l’essentiel. Difficile aussi de ne pas penser à une autre très forte personnalité irlandaise et immense chanteuse, Sinéad O’Connor, disparue en juillet, avec laquelle il avait chanté en duo.

La mort de Nguyen Tan Tai-Luc, plus connu sous son diminutif, n’a pas fait beaucoup de bruit hors de France, mais beaucoup ont salué ici la mémoire du chanteur de La Souris Déglinguée. Une personnalité à part, figure phare du rock français, éternel porte-drapeau de la jeunesse de Paris et de sa banlieue, et par ailleurs spécialiste des langues orientales.

Tai-Luc en showcase chez Gibert Disques, boulevard Saint-Michel à Paris,
en décembre 2022 (photo V.A.).

Notre ami Jean-Pierre Montal, écrivain, nous a autorisés à publier ci-dessous le très bel hommage qu’il avait posté sur Facebook :

« Ceci est un RIP, malheureusement. Tai-Luc est mort. Comme il y eut le zouk pour les îles ou la bossa nova pour les plages du Brésil, il fallait une musique pour Schiltigheim, les banlieues de Rouen ou celles de Saint-Etienne. Dans les années 80, ce fut l’alternatif. Je sais… Pas glop du tout, pas glamour mais ces types jouaient partout, ils nous évitaient bien des soirées en famille… grâce leur soit rendue. Et au milieu de cette « scène », un véritable état dans l’état, de glorieux aînés qui avaient débuté bien avant, La Souris Déglinguée, emmenée par un type au charisme unique, brassant la ligne 2, Juvisy et le Mékong dans des paroles portées par un genre de romantisme rockab. « Il y a pas mal de filles en France qui s’appellent Marie-France / Elles sont vendeuses ou voleuses dans les rayons de Prisunic » ou encore le génial « qu’est-ce que tu manigances ? / un complot d’indifférence. » Donne intégrales Christian Bobin et Brett Easton Ellis contre deux phrases pareilles.

Tai-Luc m’avait dit un jour : « je voulais que les textes parlent à tout notre public, alors j’ai cité les stations de métro, Jaurès, Stalingrad. » Prends-en de la graine, perdreau de la rentrée littéraire. Je me souviens, comme si le film était projeté à cet instant même sous mes yeux, d’un concert dans une ancienne patinoire de Saint-Etienne. Tai-Luc calmant les mauvais garçons des premiers rangs avec assurance, parfois en les appelant par leur prénom… Le groupe donnait l’impression de ne jamais faire de balance, de répéter épisodiquement, et alors ? Un public qui recherche le professionnalisme, ça s’appelle un jury, ça tape sur des buzzers et c’est assez grotesque, non ? Il y avait tout le reste dans un concert de LSD, tout ce que nous cherchions. Même une reprise de “Caravan” de Duke Ellington en intro…

Toujours surprenant, Tai-Luc était devenu bouquiniste sur les quais de Seine et reprenait le Velvet façon « country ». Vers la fin de l’alternatif, j’ai écouté des Anglais blafards, j’avais officiellement bon goût. Mais ces concerts dans des patinoires et des bourses du travail au trois quarts vides, « peut-être est-ce ce que j’ai eu de meilleur », comme disait oncle Gustave. Alors, oui, RIP Tai Luc. »

Avec la participation de Mathieu Gandin.


Les liens ci-dessous renvoient aux articles que nous avons publiés.
RIP Shane MacGowan (The Pogues), Tai-Luc (La Souris Déglinguée), Jeff Beck, David Crosby, Tom Verlaine, Geordie Walker (Killing Joke), Andy Rourke (The Smiths), Steve Mackey (Pulp), Eddie Connelly (Meat Whiplash, Motorcycle Boy), Miki Liukkonen (The Scenes), Tina Turner, Randy Meisner (The Eagles), Sixto Rodriguez, Denny Laine (Moody Blues, Wings…), Lisa Marie Presley, Sinead O’Connor, Jane Birkin, Buzy, Guy Marchand, Karl Tremblay (Les Cowboys Fringants), Jean-Louis Murat, Claude Barzotti, Marcel Amont, Henri Tachan, François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle…), Lou Deprijck (auteur de “Ça plane pour moi” et très probable chanteur de la plupart des chansons de Plastic Bertrand), Marcel Zanini, Tony Bennett, Harry Belafonte, Astrud Gilberto, Rita Lee, Carlos Lyra, Ahmad Jamal, Wayne Shorter, Burt Bacharach, Toto Cutugno, Susanna Parigi, Gordon Lightfoot, David McCallum, Ismaïla Touré (fondateur de Touré Kunda), Zahara, Gangsta Boo, Amp Fiddler, David ”Trugoy The Dove” Jolicoeur (De La Soul), Alain Goraguer, Robbie Robertson (The Band), Alan Rankine (The Associates), Carla Bley, Kaija Anneli Saariaho, Ryuichi Sakamoto (lire également la chronique de son ultime disque, “12”).


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