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Perfume Genius, the final girl – Interview

Alors qu’il achève la tournée de promotion de son troisième album Too Bright, Mike Hadreas (Perfume Genius à la scène), était programmé lors du festival Loud and Proud au Lieu unique, consacré aux cultures gay et queer. L’occasion de discuter avec un artiste sensible et attachant, fort et fier.

Les débuts dans la musique : un accomplissement

Mike Hadreas revient sur ses débuts dans la musique en 2005, alors qu’il a déjà 25 ans. Cette année-là, il quitte New York et les addictions qui l’emprisonnent pour revenir habiter chez sa mère à Seattle, où il a grandi. Il se met alors à écrire des chansons. C’est donc sur le tard qu’il trouve enfin dans la composition ce qui semble être, a posteriori, un exutoire miraculeux de ses émotions. « Cela faisait très longtemps que je cherchais une manière, non pas d’exprimer mes sentiments, mais plutôt de les cacher. Et je dois dire que l’alcool et les drogues avaient plutôt bien fait le job ! (rires) Mais deux mois après avoir arrêté, j’ai pensé à tout ce que j’avais remis à plus tard, à toutes les relations que j’avais foirées…Je n’avais jamais fait de musique avant mais je me suis réveillé un jour, et j’ai pris la décision d’écrire une chanson et de m’y tenir. J’ai ressenti une forme d’accomplissement à la fin, quelque chose de thérapeutique même, surtout dans le processus d’écriture car, par ce biais, je pouvais canaliser tous ces souvenirs et toutes ces pensées, leur donner un but. »

Rester pop

Les deux premiers albums de Perfume Genius, Learning (2010) et Put Your Back N 2 It(2012), proposent majoritairement des pièces où Mike Hadreas est seul, avec son piano et sa voix. Le dernier album sorti en 2014, Too Bright, est plus pop, et bénéficie pour les arrangements des conseils éclairés du coproducteur Adrian Utley, échappé de Portishead. « Adrian Utley a influencé la production de l’album de différentes manières. J’avais des démos assez complètes qui étaient aussi sombres et effrayantes que les chansons qui se retrouvent finalement sur l’album, mais je n’étais pas capable techniquement de mener à bien les morceaux sur mon ordinateur à la maison. Je n’avais qu’à décrire à Adrian Utley une humeur, pour qu’il tourne ensuite le bon bouton ou m’oriente vers tel ou tel instrument. Je trouve que ces chansons sont plus expérimentales d’une certaine manière, mais je fais de la pop music après tout, et même si elles gardent un côté étrange et sombre, j’aime qu’elles gardent un aspect accrocheur. »

La dernière survivante

Impossible de ne pas penser à la musique d’un film d’horreur en écoutant certains passages de morceaux comme « Grid ». « C’est exactement ce à quoi je faisais référence ! (rires) Je me suis inspiré de la musique de John Carpenter ou de Goblin, un groupe qui a fait la musique pour des films de Dario Argento. J’aime les films d’horreur, notamment ceux dans lesquels il ne reste qu’une seule survivante à la fin (rires). Je crois même que c’est un archétype qui porte un nom dans les films d’horreur : « the final girl » (la dernière survivante en français, ndlr), où la femme, contre toute attente, combat les monstres, s’enfuit et finit par survivre, couverte de sang, une machette à la main : j’adore ça ! Si je devais choisir mon film d’horreur préféré, ce serait The Descent, où un groupe de jeunes filles part en expédition dans une grotte : tu devrais le voir, il est vraiment très bon ! ».

Expressionnisme

Perfume Genius avait habitué les spectateurs à livrer des prestations scéniques chargées en émotions, tel Antony Hegarty derrière son piano, racontant sans détour les expériences les plus noires de son intimité. Ce soir-là, pour le festival Loud and Proud au lieu unique, Mike Hadreas expérimente une formule inaugurée sur la dernière tournée, où il s’expose aux regards de manière décomplexée, paradant devant les retours dans ses boots vernies et se tortillant suavement dans sa combinaison noire. La veille, à Paris, il arborait un pull-robe et des collants résille, tandis que son vernis à ongles et son rouge à lèvres ne le quittent presque jamais.

C’est comme si le timide Mike de l’interview se transformait en Perfume Genius, personnage expressionniste qui cultive les mimiques sur scène, nous laissant absorbés par son show. La température monte dans le Grand atelier du lieu unique, les corps transpirent, et c’est alors que Mike Hadreas fait ce geste, à mi-chemin entre la candeur et la coquetterie de diva : voulant essuyer un surplus de rouge, il saisit la set-list devant lui pour y tamponner ses lèvres…

« C’est vrai que mes prestations sont très différentes », analyse l’artiste. « Et celle de ce soir le sera forcément de celles du début de tournée. Toutes ces chansons sont nouvelles pour moi, et j’ai une manière très différente de les chanter car il y a plus de cris par exemple. Avant, je cauchemardais à l’idée d’ouvrir la bouche pour crier sans qu’aucun son n’arrive à sortir ! En fait, c’est toujours un peu gênant pour moi, car je suis une personne un peu gauche ! Même si j’ai maintenant deux ou trois pas de danse bien à moi (rires). Cette envie de me lâcher a toujours été présente, mais j’étais timide, et j’ai mis longtemps à dire : « Et puis merde ! ». Mais ensuite c’est allé très vite, et je l’ai maintenant fait assez de fois pour ne plus être nerveux. Parfois, pendant les concerts, j’en oublie même que je suis mal à l’aise (rires), et l’idée est de théâtraliser la prestation scénique et d’oublier où l’on est ! »

Mike Hadreas poursuit : « Cette confiance en moi est sûrement liée à certaines chansons du dernier album qui sont plus provocatrices, qui s’adressent personnellement à certaines personnes dans un but thérapeutique. Parfois dans les festivals, il y a des spectateurs qui n’écoutent pas les morceaux, et c’est tant mieux car sinon j’ai l’impression de leur crier dessus ! Et au contraire, quand le public a l’air de me soutenir, ça fait bizarre de chanter ce type de chansons, et dans ce cas, je m’imagine qu’on est en train de lutter tous ensemble dans un moment de partage. »

 

Chanter comme un ange

« J’espère que ma voix a évolué au cours des années ! J’ai arrêté de fumer il y a quelques mois ; je ne fume plus qu’une bête cigarette électronique. Donc je ne sais pas si la qualité de ma voix a changé, mais en tout cas, maintenant je respire mieux (rires). Pourtant, c’est toujours difficile pour moi de chanter, ce n’est pas quelque chose de naturel ; j’ai appris par moi-même, en même temps que je me suis mis au piano quand j’ai commencé à faire de la musique. Je pousse souvent ma voix, en essayant de chanter aussi haut et de crier aussi fort que possible, mais j’aimerais avoir plus confiance. Je devrais peut-être prendre des cours pour ne pas abîmer ma voix. Je faisais du sport, je mangeais bien, je buvais davantage d’eau, tout devait aller mieux sur scène et en studio. Mon but était que ma voix soit incroyable, que je puisse faire des vocalises et chanter comme un ange ! Mais je mange toujours de la merde et je fume presque toujours autant ! (rires)« .

Arts visuels

En 2012, Perfume Genius a eu l’occasion de donner un concert au Frye Art Museum de Seattle dans le cadre de l’exposition « Moment Magnitude ». « J’ai étudié la peinture pendant un an à l’école, et je pensais que c’est ce que je finirais par faire dans la vie, quoique cela puisse vouloir dire d’étudier la peinture (rires). Dès que j’ai commencé à faire de la musique, j’ai réalisé des clips qui allaient avec mes chansons : l’aspect visuel est très important pour moi en tout cas. J’aimerais faire des vidéos plus longues à l’avenir. J’ai aussi pensé à être écrivain, et la musique est finalement la forme artistique qui réunit toutes ces envies. J’aimerais un jour produire quelque chose de plus spécifique, car cette fois ce n’était qu’un concert et une installation avec certains de mes clips. Dès que cette tournée sera finie, j’aurai le temps de collaborer avec un artiste plasticien, je ne sais pas encore lequel, mais ce sera quelque chose de bien particulier. »

Fort et fier

« C’est sûr qu’en réalisant l’album, j’ai pensé à des icônes de la chanson qui étaient sûres d’elles comme Elvis, David Bowie ou Patti Smith…et je voulais en proposer ma version. Et même si je chante à propos de sujets qui ne respirent pas la confiance en soi, et même si je ne suis pas sain d’esprit, c’est une manière de dire, presque avec arrogance « Je suis extraordinaire, ce que je fais est génial », en m’inspirant de ces figures. »

« Je trouve que c’est incroyable de participer au festival Loud and Proud. Après tout le tapage qui a pu être fait sur ma sexualité…Ma sexualité est la première chose que l’on dit sur moi, la raison pour laquelle les gens me rejettent, ou la raison pour laquelle les gens m’aiment davantage, et ce sera finalement la première fois que je participe à un tel événement. C’est super de pouvoir rentrer sur scène sans me poser de questions sur ce que je porte, sur ce que je vais dire ou comment je vais bouger. C’est très agréable de se sentir en sécurité, bien que je ne me sois jamais senti en danger ; c’est souvent que j’ai eu l’impression d’être isolé ou d’avoir quelque chose à prouver. Ma musique est tellement liée à ma sexualité, que les gens ne s’identifient pas forcément à 100%, de la même manière que je n’écoute pas que de la musique gay parce que je suis gay ! Et dans les autres festivals, il n’y a pas autant de femmes ou de personnes queer qui jouent, donc ça fait plaisir d’en voir jouer ! »

Visibilité

On demande alors à Perfume Genius si ce genre d’événement dédié aux cultures gay et queer ne risque pas de les stigmatiser : « On ne peut pas toujours être gagnants…Dès qu’il y a un événement ou une émission à la télé, c’est censé représenter la culture gay pour tout le monde, on veut être à 100% exact…Il y aura toujours des gens qui penseront que ce n’est pas assez gay, ou que ça l’est trop, car certains voudront absolument jouer au football et se marier, et ne pas adhérer à certains stéréotypes de la communauté gay, et c’est très bien ! »

Les droits des homosexuels aux États-Unis

En fin d’interview, Mike Hadreas réagit à propos de la légalisation du mariage gay aux États-Unis. « J’ai d’abord été très impatient de voir la gueule des gens du Middle-West et du Sud des États-Unis, et c’était plus le fait de les voir furieux que la décision en elle-même qui m’enthousiasmait ! (rires) J’aurais aimé être en Amérique pour voir ça ! C’est une super décision. J’ai grandi avec l’idée que l’on ne pourrait jamais se marier, et c’est génial que les enfants d’aujourd’hui sachent que cette option existe pour eux. Je crois que n’importe quelle personne n’étant pas un homme blanc hétérosexuel devra encore se battre longtemps. Et en même temps, j’aime bien avoir à me battre ! Être un outsider te pousse à avoir plus d’empathie, à être plus tolérant et ouvert d’esprit. On s’est toujours moqué de moi, non pas nécessairement en raison de mon homosexualité, mais à cause de mon comportement féminin – quand on est gay à 100%, les gens vous mettent dans une case, ça les rassure, alors qu’une situation moins claire les déroute -, et je crois qu’il se passera beaucoup de temps avant que tout cela devienne plus fluide. Même s’il y a des améliorations dans certains domaines et que l’on parle davantage d’homosexualité, beaucoup de choses horribles se passent encore aujourd’hui en Amérique. »

 

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